Faut-il quitter X ? Les arguments philosophiques pour et contre

Faut-il quitter X ? Les arguments philosophiques pour et contre hschlegel ven 24/01/2025 - 17:45 En savoir plus sur Faut-il quitter X ? Les arguments philosophiques pour et contre « Lundi matin, lors de la traditionnelle conférence de rédaction de Philosophie magazine, j’ai soulevé une question en tant que cheffe de service Nouveaux Médias : faut-il quitter X, le réseau social d’Elon Musk ? De nombreux titres de presse profitaient de l’investiture de Donald Trump pour dire adieu à X, afin de ne pas alimenter une plateforme gangrénée par la haine et la désinformation, et mise au service idéologique de son propriétaire d’extrême droite. Un petit débat philosophique s’est alors invité dans nos échanges.[CTA1]➤ Vous lisez actuellement la Lettre de la rédaction de Philosophie magazine. Pour la recevoir directement dans votre boîte mail, abonnez-vous ! Cette newsletter est quotidienne et gratuite.Deux positions se sont dégagées. La première est d’inspiration kantienne. Certains journalistes, dont je suis, estiment que le danger représenté par Elon Musk est trop grand pour ne rien faire. Avec ses algorithmes soupçonnés de favoriser les comptes de trolls et d’extrême droite, sa modération douteuse et les centaines de message que Musk envoie à ses 200 millions d’abonnés en soutien aux partis populistes du monde entier – dont les néonazis de l’AFD en Allemagne –, X est devenu une arme de propagande massive, génératrice de chaos. Un collègue a cité Kant pour justifier son souhait de voir le compte @philomag quitter X : “Agis de telle sorte que tu puisses vouloir que la maxime de ton action soit érigée en loi universelle” (Fondements de la métaphysique des mœurs). En philosophie morale, on parle de point de vue “déontologique” : ce qui importe, c’est l’esprit qui guide une action, pas ses résultats escomptés. Certes, la face du monde ne sera pas changée si Philosophie magazine se retire de X, mais au moins, on aura bien agi.Une autre position s’est dessinée, celle qui précisément intègre les résultats attendus. Il s’agit d’un point de vue “conséquentialiste” : si les conséquences de ce départ sont jugées plus avantageuses que celles du statu quo, alors oui, il faut partir… mais si ce n’est pas le cas, non. Trois grands arguments ont été avancés. 1) Quitter X n’aura pas d’impact sur la présence de fake news qui y pullulent, car le compte @philomag n’a pas coutume d’offrir un service de vérification des faits (c’est plutôt le rôle de quotidiens généralistes) ; 2) en revanche, quitter X aura un impact négatif sur la qualité du débat public, car les articles nuancés et éclairés de Philosophie magazine ne pourront dès lors plus y circuler ; 3) enfin, quitter X risque de défavoriser notre journal, puisqu’en partant, nous perdrons l’occasion d’attirer et de fidéliser des lecteurs. Bénéfices moindres, coûts importants : un philosophe comme Jeremy Bentham, chef de file des utilitaristes (courant principal du conséquentialisme) nous conseillerait sûrement de rester.Comment trancher ? Une entreprise n’est certes pas une assemblée démocratique, mais Philosophie magazine a dans ses gènes le goût du débat et le souci de bien faire. Or ce dilemme est assez inédit dans l’histoire de la presse, et il n’existe pas de marche à suivre préétablie. Il a donc fallu trouver un compromis. Après une discussion collective et des discussions bipartites, voici la conclusion à laquelle nous sommes arrivés : il est préférable de réduire les publications (pour tenter d’affaiblir l’importance de X) sans disparaître de la plateforme (pour continuer d’apporter un regard sérieux et critique au débat), mais sans dépenser de temps ni d’argent non plus (pour ne pas se compromettre avec Elon Musk). Traduction concrète : depuis lundi soir, nos articles sont publiés sur X par un robot, via un flux RSS, sans intervention tierce pour personnaliser les messages ni animer la communauté. Chaque journaliste reste évidemment libre de publier ou non depuis son compte personnel.“Un compromis, c’est un accord qui laisse tout le monde insatisfait”, plaisantait un ancien professeur de Sciences Po. J’ai longtemps cru être en phase avec cette approche (quelque peu cynique), mais je crois avoir changé. Même si je suis plutôt de nature à suivre les arguments déontologiques, il me semble bon de rester à l’écoute d’arguments adverses pour enrichir la réflexion et garantir le pluralisme des points de vue. Le compromis n’est pas la compromission. Ce n’est pas parce que Trump et Musk, deux extrémistes bornés, sont incapables d’intégrer cette idée qu’ils ont raison – et encore moins qu’il serait bon de les imiter.Et pour celles et ceux d’entre vous qui auraient quitté X et souhaiteraient nous lire ailleurs : suivez-nous désormais sur Bluesky ! » janvier 2025

Jan 26, 2025 - 14:56
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Faut-il quitter X ? Les arguments philosophiques pour et contre
Faut-il quitter X ? Les arguments philosophiques pour et contre hschlegel ven 24/01/2025 - 17:45

« Lundi matin, lors de la traditionnelle conférence de rédaction de Philosophie magazine, j’ai soulevé une question en tant que cheffe de service Nouveaux Médias : faut-il quitter X, le réseau social d’Elon Musk ? De nombreux titres de presse profitaient de l’investiture de Donald Trump pour dire adieu à X, afin de ne pas alimenter une plateforme gangrénée par la haine et la désinformation, et mise au service idéologique de son propriétaire d’extrême droite. Un petit débat philosophique s’est alors invité dans nos échanges.

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Vous lisez actuellement la Lettre de la rédaction de Philosophie magazine. Pour la recevoir directement dans votre boîte mail, abonnez-vous ! Cette newsletter est quotidienne et gratuite.

Deux positions se sont dégagées. La première est d’inspiration kantienne. Certains journalistes, dont je suis, estiment que le danger représenté par Elon Musk est trop grand pour ne rien faire. Avec ses algorithmes soupçonnés de favoriser les comptes de trolls et d’extrême droite, sa modération douteuse et les centaines de message que Musk envoie à ses 200 millions d’abonnés en soutien aux partis populistes du monde entier – dont les néonazis de l’AFD en Allemagne –, X est devenu une arme de propagande massive, génératrice de chaos. Un collègue a cité Kant pour justifier son souhait de voir le compte @philomag quitter X : “Agis de telle sorte que tu puisses vouloir que la maxime de ton action soit érigée en loi universelle” (Fondements de la métaphysique des mœurs). En philosophie morale, on parle de point de vue “déontologique” : ce qui importe, c’est l’esprit qui guide une action, pas ses résultats escomptés. Certes, la face du monde ne sera pas changée si Philosophie magazine se retire de X, mais au moins, on aura bien agi.

Une autre position s’est dessinée, celle qui précisément intègre les résultats attendus. Il s’agit d’un point de vue “conséquentialiste” : si les conséquences de ce départ sont jugées plus avantageuses que celles du statu quo, alors oui, il faut partir… mais si ce n’est pas le cas, non. Trois grands arguments ont été avancés. 1) Quitter X n’aura pas d’impact sur la présence de fake news qui y pullulent, car le compte @philomag n’a pas coutume d’offrir un service de vérification des faits (c’est plutôt le rôle de quotidiens généralistes) ; 2) en revanche, quitter X aura un impact négatif sur la qualité du débat public, car les articles nuancés et éclairés de Philosophie magazine ne pourront dès lors plus y circuler ; 3) enfin, quitter X risque de défavoriser notre journal, puisqu’en partant, nous perdrons l’occasion d’attirer et de fidéliser des lecteurs. Bénéfices moindres, coûts importants : un philosophe comme Jeremy Bentham, chef de file des utilitaristes (courant principal du conséquentialisme) nous conseillerait sûrement de rester.

Comment trancher ? Une entreprise n’est certes pas une assemblée démocratique, mais Philosophie magazine a dans ses gènes le goût du débat et le souci de bien faire. Or ce dilemme est assez inédit dans l’histoire de la presse, et il n’existe pas de marche à suivre préétablie. Il a donc fallu trouver un compromis. Après une discussion collective et des discussions bipartites, voici la conclusion à laquelle nous sommes arrivés : il est préférable de réduire les publications (pour tenter d’affaiblir l’importance de X) sans disparaître de la plateforme (pour continuer d’apporter un regard sérieux et critique au débat), mais sans dépenser de temps ni d’argent non plus (pour ne pas se compromettre avec Elon Musk). Traduction concrète : depuis lundi soir, nos articles sont publiés sur X par un robot, via un flux RSS, sans intervention tierce pour personnaliser les messages ni animer la communauté. Chaque journaliste reste évidemment libre de publier ou non depuis son compte personnel.

“Un compromis, c’est un accord qui laisse tout le monde insatisfait”, plaisantait un ancien professeur de Sciences Po. J’ai longtemps cru être en phase avec cette approche (quelque peu cynique), mais je crois avoir changé. Même si je suis plutôt de nature à suivre les arguments déontologiques, il me semble bon de rester à l’écoute d’arguments adverses pour enrichir la réflexion et garantir le pluralisme des points de vue. Le compromis n’est pas la compromission. Ce n’est pas parce que Trump et Musk, deux extrémistes bornés, sont incapables d’intégrer cette idée qu’ils ont raison – et encore moins qu’il serait bon de les imiter.

Et pour celles et ceux d’entre vous qui auraient quitté X et souhaiteraient nous lire ailleurs : suivez-nous désormais sur Bluesky ! » janvier 2025