Viktor Orban, l’homme de Trump en Europe ?

Des années durant, le premier ministre hongrois est apparu comme un allié de Donald Trump, voire comme un modèle à suivre. Pour autant, les bonnes grâces du président américain ne lui sont pas assurées.

Jan 27, 2025 - 19:15
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Viktor Orban, l’homme de Trump en Europe ?

Donald Trump a souvent fait l’éloge du premier ministre Viktor Orban, au pouvoir en Hongrie depuis quinze ans. Mais, à présent que Trump est revenu à la Maison Blanche, l’homme fort de Budapest, héraut depuis des années d’un illibéralisme assumé, pourrait voir cette proximité s’effriter, notamment parce que, parmi les leaders de la droite européenne, Giorgia Meloni – qui prône une politique différente de celle d’Orban sur le dossier ukrainien – lui dispute le rôle de premier allié de Washington au sein de l’UE…


La victoire, la prise de fonctions et les premières décisions de Donald Trump donnent des ailes aux illibéraux partout dans le monde, et surtout en Europe. À Budapest, à Bratislava ou encore à Rome, certains caressent l’espoir d’une révolution illibérale sur le Vieux Continent, comme une réplique au séisme Trump. Cette croisade culturelle transatlantique serait menée par une troïka baroque : Trump, Meloni et Orban. Et elle cultiverait des affinités idéologiques hors d’Europe avec les présidents russe, turc et chinois, ou encore avec le premier ministre indien.

Si on s’en tient à la ligue européenne de cette internationale illibérale fantasmée, le chef de file européen de l’illibéralisme du Vieux Continent peut-il réellement surnager dans le tsunami MAGA ? Son destin tout tracé n’est-il pas de passer de l’avant-garde idéologique au rôle de cheval de Troie et enfin à celui de supplétif ? Ou bien le premier ministre hongrois peut-il faire coup double et obtenir une véritable écoute et influence à Washington tout en revendiquant un leadership interne à l’Union européenne ?

#La réélection de Donald Trump, consécration du prophète l’illibéralisme européen ?

Depuis le 5 novembre 2024 et, surtout, depuis le 20 janvier 2025, l’étoile de l’illibéralisme semble de nouveau briller en Occident.

La victoire électorale puis la prise de fonctions de Donald Trump couronne le mouvement idéologique de Viktor Orban – constamment reconduit dans ses fonctions depuis 2010 par les électeurs hongrois –, valide son pari politique et lui donne un nouvel élan diplomatique. Le leader hongrois est en effet le « prophète » de l’illibéralisme depuis au moins 2014. Le concept, forgé par Pierre Rosanvallon et propagé par le publiciste américain Fareed Zakaria dans les années 1990, est en effet devenu le slogan puis le programme de Viktor Orban, bien avant la première victoire électorale de Donald Trump en 2016.

Le chef du Fidesz a porté ce mantra, l’illibéralisme, aux dimensions d’une croisade politique continentale pour s’opposer, au nom de la souveraineté populaire, aux limites imposées par l’État de droit, à la protection des droits individuels, à la division des pouvoirs ou encore aux politiques à vocation fédérale de l’Union européenne. Dans son optique, l’élection populaire ne doit rencontrer aucun contre-pouvoir institutionnel, aucune limite juridique et aucune concurrence médiatique. L’élu doit régner et le peuple le soutenir, jusqu’à la prochaine élection.

Régulièrement critiqué par les dirigeants des États fondateurs de l’Union, sanctionné en raison de ses réformes des juridictions, des régimes sur les minorités, de l’audiovisuel public et du statut réservé à l’opposition politique, il a tenté de réunir sur le continent des gouvernants illibéraux au sein du Groupe de Visegrad (ou V4) qui regroupe la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et la Tchéquie.

Toutefois, l’expansion de l’illibéralisme en Europe s’est essoufflée : la Hongrie est toujours sous le coup de la procédure de l’article 7 du Traité de l’UE en raison de lois discriminatoires adoptées par Budapest contre les personnes LGBTQ+ ; depuis l’arrivée au pouvoir du très libéral Donald Tusk à Varsovie en 2023, l’illibéralisme européen a perdu un soutien important ; et le poids très limité à Bruxelles des eurodéputés Fidesz (12), où il siège, avec les eurodéputés RN au sein du groupe Patriotes pour l’Europe ne permet pas d’influencer la majorité au Parlement européen ou à la commission.

L’élection de Donald Trump a consacré une séquence politique très favorable pour les hérauts de l’illibéralisme européen. C’est même la fin de la traversée du désert pour Viktor Orban : il a donné de sa personne, de son temps et de ses ressources politiques pour mener une campagne pro-Trump en Europe en 2024 ; dans le cadre de la présidence semestrielle tournante du Conseil de l’Union européenne au deuxième semestre 2024, il a réuni les dirigeants européens à Budapest au lendemain de l’élection du chef MAGA pour souligner son rôle de passeur transatlantique ; et si le président américain réalise son projet de paix bâclée en Ukraine, cela justifierait a posteriori le refus de son allié hongrois d’aider l’Ukraine militairement et financièrement (tout en adoptant les 15 paquets de sanctions). L’arrivée de Trump à la Maison Blanche a également été invoquée à Budapest pour justifier les visites officielles de Viktor Orban à Moscou, notamment quelques jours après le lancement de la présidence hongroise du Conseil de l’Union européenne.

Tout laisse à penser, dans l’épopée llibérale, que la victoire de Donald Trump aux États-Unis pourrait bel et bien être celle du programme de Viktor Orban en Europe.

De cheval de Troie à chef de la section européenne du MAGA ?

L’objectif du premier ministre hongrois est aujourd’hui nourri par cet espoir : compenser sa marginalité institutionnelle européenne par une centralité transatlantique. Trump avait ouvert la voie à cet espoir en citant exclusivement le leader hongrois dans ses discours de fin de campagne. Comme si l’Europe se réduisait à Viktor Orban.

Toutefois, le destin des ambassadeurs idéologiques autoproclamés peut être ingrat lorsqu’il s’agit de Donald Trump. Plusieurs indices soulignent que la centralité politique de Viktor Orban est précaire : il n’a pas participé à la cérémonie d’investiture du 20 janvier 2025 alors qu’il y aurait été invité. Surtout, dans le monde MAGA, la puissance économique, la taille démographique et le dynamisme technologique comptent pour beaucoup, ne serait-ce que pour satisfaire la base électorale du président américain. Or, dans ces domaines, la Hongrie n’a pas le même poids que dans la sphère politique et idéologique : si le boss MAGA ne respecte que les puissants et les forts, la Hongrie pèsera peu dans sa géopolitique personnelle. À cela s’ajoute que la Hongrie fait précisément partie des plus « mauvais payeurs » au sein de l’OTAN : ses dépenses de défense sont tout juste à 2 % de son PIB.

En outre, Washington suscite une véritable compétition entre Orban et la présidente du Conseil italien Giorgia Meloni pour le rôle d’interlocuteur privilégié en Europe de l’administration Trump II : la cheffe de Fratelli d’Italia a mis en scène ses affinités idéologiques avec Elon Musk et scellé ce rapprochement en envisageant de signer un contrat avec l’oligarque de la tech pour un système de communication Starlink à destination des forces armées italiennes.


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Enfin et surtout, on sait, depuis les multiples revirements de l’émission de télévision animée par Donald Trump, « The Apprentice », que Donald Trump est prompt à brûler ses anciens « chouchous ». Ses retentissants « You’re Fired ! » ont fait sa célébrité et bien des candidats de cette émission de téléréalité ont appris à leurs dépens qu’on n’est pas le favori de Donald Trump sans danger. Il en a été de même, dans un registre plus sérieux, des membres de son administration : la valse des secrétaires à la Défense a été rapide et chaotique, soulignant les variations de cap rapide dans la gestion des ressources humaines du milliardaire new-yorkais.

En conséquence, le poste de « chef de section MAGA Europe » risque d’être soumis à des mouvements d’autant plus rapides que l’agenda européen de Donald Trump est uniquement centré sur les intérêts américains à court terme, pas sur la croisade idéologique occidentale des illibéraux européens. L’internationale illibérale risque de faire long feu, exactement comme lors du premier mandat de Donald Trump durant lequel les avances de Steve Bannon aux illibéraux européens avaient tourné court.

Aller à Washington comme on va à Canossa ?

Le discours de Mar-a-Lago du président élu, le 6 janvier, puis l es déclarations du président investi le 20 janvier ont confirmé aux Européens les injonctions du « bully » du Bureau ovale. Il traitera ses alliés en général, et ceux d’Europe en particulier, de « mauvais payeurs » à mettre à l’amende, de « profiteurs » à mettre à contribution et comme des féaux à mettre au pas. Pour améliorer la balance commerciale de son pays, il contraindra les Européens à importer massivement des matériels de défense et des hydrocarbures (pétrole et GNL) depuis les États-Unis sous la menace d’une hausse des droits de douane et d’une baisse de la protection militaire américaine. Et il exigera d’eux un assouplissement de leurs législations en matière numérique pour alimenter la soif de data des Gafam.

Quel rôle peut-il rester, dans cette perspective, à Viktor Orban, à Robert Fico ou encore à Giorgia Meloni ? Ni la Hongrie, ni la Slovaquie, ni l’Italie ne disposent des budgets de défense nécessaires pour porter leur effort à 5 % comme réclamé par Trump. La Hongrie ne peut pas chercher à obtenir l’implantation d’une base américaine sur son sol, comme en son temps le PiS polonais, sans ruiner sa politique de rapprochement avec Moscou. Et aucun pays actuellement dirigé par un gouvernement illibéral ne présente d’intérêt stratégique pour les GAFAM ou les majors pétrolières. Enfin, sur la guerre russo-ukrainienne, le plan de paix de Trump est aujourd’hui bien difficile à déchiffrer : conduira-t-il à couper l’aide à l’Ukraine comme demandé par la Hongrie ? Ou bien à la renforcer, comme le souhaite l’Italie, pour obtenir de Moscou un deal plus avantageux ? Là encore, Washington n’hésitera pas à déjuger ses soutiens locaux.

Aujourd’hui, le risque, pour Viktor Orban, est moins d’être détrôné dans son rôle d’interlocuteur privilégié de Trump en Europe que de subir (et de devoir justifier) un agenda européen trumpiste purement national et sans égard pour les alliés. Il irait alors à Washington non en pair mais en supplétif placé devant le fait accompli. À Canossa, en somme.


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The Conversation

Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.