Microalgues pour l’alimentation humaine : comment mieux les produire
Les microalgues sont une ressource renouvelable très intéressante pour l’alimentation humaine. Mieux comprendre comment les produire est donc un enjeu majeur.
Les microalgues sont une ressource renouvelable assez méconnue. Ces microorganismes photosynthétiques, comme la spiruline, sont actuellement principalement utilisés comme compléments alimentaires, pour l’alimentation humaine ou animale (aquaculture). Leur potentiel est pourtant bien plus vaste, mais leur utilisation est contrainte par des coûts de production élevés, tandis que la qualité des produits commerciaux est variable et peu documentée.
Afin de développer des systèmes de production performants et de valoriser au mieux l’incroyable potentiel de ces organismes, il nous faut comprendre les interactions qui existent entre la composition de la microalgue et son environnement de culture.
Les microalgues sont, comme les plantes, capables de fixer le CO2 via la photosynthèse, et aussi d’utiliser une grande diversité de sources de carbone organique. Selon les espèces et les conditions choisies pour les cultiver, elles stockent le carbone sous différentes formes (lipides, glucides) et synthétisent des molécules telles que des caroténoïdes (antioxydants) ou des phytostérols aux effets antiâges, pour des applications à haute valeur ajoutée, en santé, cosmétique, chimie fine.
Les espèces du genre Chlorella comptent parmi les microalgues les plus utilisées et les plus étudiées. Riches en protéines, lipides, vitamines et minéraux, elles font partie des quelques espèces autorisées en Europe pour la consommation humaine. Au sein de notre équipe, nous nous sommes intéressés à leur composition en lipides. En effet, ces microalgues sont des producteurs primaires d’acides gras polyinsaturés essentiels tels que l’acide linoléique (LA : oméga 6) et l’acide alpha-linolénique (ALA : oméga-3) que l’on retrouve par ailleurs dans les produits carnés (poissons gras, mais aussi, en moindre proposition, dans les œufs, viandes et produits laitiers) et dans certaines huiles végétales (noix, lin, colza…).
Pour l’alimentation humaine, les teneurs ainsi que les ratios entre oméga 6 et 3 sont importants d’un point de vue nutritionnel, avec des apports journaliers totaux souvent insuffisants et déséquilibrés dans les régimes occidentaux (recommandations de l’Anses : 4 % des apports journaliers pour le LA, 1 % pour l’ALA, et un ratio LA/ALA inférieur à 4). La consommation importante de produits carnés terrestres contribue à ce déséquilibre vers les oméga 6, tandis que ce sont les oméga-3 qui sont nécessaires au développement et au fonctionnement de la rétine, du cerveau et du système nerveux.
Les microalgues sont capables de vivre dans des environnements très divers
Pour mieux comprendre et maîtriser la production en lipides des chlorelles, nous nous sommes intéressés à l’impact des conditions de culture sur les quantités et qualités des lipides. Grâce à des capacités métaboliques versatiles, les chlorelles, comme d’autres microalgues, sont capables de croître et de se multiplier dans divers environnements. Des espèces de Chlorella ont ainsi été cultivées en laboratoire dans différentes conditions : en milieu nutritif minimum (contenant tous les éléments nutritifs de base requis pour la croissance, ici des éléments minéraux en faibles quantités) en présence d’air et de lumière (photo-autotrophie), et dans des milieux enrichis avec du carbone organique à différentes doses (des sucres ou des acides organiques), en présence ou absence de lumière (mixotrophie ou hétérotrophie).
En photo-autotrophie, les microalgues se développent grâce à l’utilisation de la lumière comme source d’énergie, et du CO2 de l’air dissout dans l’eau comme source de carbone. Dans ces conditions, en plus du bénéfice de la fixation du carbone et de l’utilisation de l’énergie lumineuse, l’intérêt principal est que les lipides des chlorelles sont majoritairement composés d’acides gras insaturés et polyinsaturés, dont des oméga 6 (LA) et oméga-3 (ALA), avec, dans notre étude, un ratio LA/ALA de 1,5. Les systèmes en photo-autotrophie apparaissent donc comme adéquats pour produire des chlorelles destinées à l’alimentation humaine. Ils sont cependant peu productifs (croissance lente et densité cellulaire finale inférieure à 10 grammes de biomasse par litre de culture), et leurs performances sont très dépendantes de l’efficacité des transferts de lumière et CO2, difficiles à optimiser dans de grands volumes de cultures tels que les bassins.
En mixotrophie, pour répondre aux besoins nutritionnels des microalgues, un apport en carbone organique (des glucides ou des acides organiques), complète le CO2 et la lumière. Dans ces conditions, les microalgues utilisent de manière simultanée le CO2, la lumière et le carbone organique disponible. Leur croissance est généralement augmentée par rapport à la photo-autotrophie, et notre étude a montré qu’en présence de glucose, Chlorella sorokinana accumulait des acides gras polyinsaturés avec des ratio LA/ALA intermédiaires, entre 3,5 et 4,5 (à la limite du seuil recommandé par l’Anses).
En hétérotrophie, les microalgues utilisent uniquement des molécules organiques comme substrat énergétique et carboné pour leur croissance, et ce en absence totale de lumière. Pour alimenter les cellules, il n’y a plus de problématique de transfert de gaz ou de lumière : l’accès au substrat énergétique et carboné dissout dans le milieu est facilité et les productions de biomasse peuvent être multipliées par dix. Ces systèmes de culture en hétérotrophie sont donc plus efficaces pour produire de la biomasse, mais ils demandent à être alimentés en ressources organiques et ne permettent pas la fixation du CO2 ni l’utilisation de l’énergie lumineuse. Dans ces conditions les chlorelles accumulent des lipides de réserve (huile) souvent constitués de moins d’acides gras polyinsaturés, avec un ratio LA/ALA supérieur à 4, moins favorable pour l’alimentation humaine.
Toutefois, les matières grasses produites dans ces conditions sont plus proches de celles issues des ressources végétales et peuvent s’y substituer. Cela permet leur utilisation dans d’autre secteurs industriels, pour produire des biodiesels ou des biomatériaux. Par exemple, l’Université de Californie de San Diego a développé des polyuréthanes à partir d’huiles végétales et de microalgues, qui ont servi de matériaux de base pour la production de planches de surf et de tongs !
Les microalgues aussi peuvent faire des stocks de gras
Pour produire des microalgues de qualité maîtrisée, le contrôle de leur environnement de culture est donc essentiel. D’autres paramètres de culture peuvent être très importants pour l’accumulation de lipides chez les microalgues. Par exemple, le ratio entre substrat carboné et azoté joue un rôle majeur. En cas de carence en azote et d’excès de carbone, les chlorelles vont stocker le carbone sous forme de lipides, augmentant ainsi la proportion en huile dans les cellules. Cependant cette « prise de gras » des cellules, se fait au détriment de leur multiplication qui est, de fait, limitée par le manque d’azote. De plus, la composition des cellules, notamment les quantités et proportions des acides gras, est non seulement dépendante des conditions de culture, mais aussi des souches de microalgues au sein d’une même espèce. Par ailleurs, la température impacte significativement les profils en acides gras : des températures hautes favorisent l’accumulation d’acides gras saturés et font globalement augmenter le ratio entre oméga 6 et 3. Cela suscite en outre des inquiétudes liées au réchauffement climatique des océans et à son impact sur la composition en lipides dans la chaîne alimentaire.
Pour le développement de la filière, les choix de systèmes de production doivent ainsi être réfléchis sur la base des connaissances des interactions entre souches et conditions de culture, et en fonction de leur impact économique (quantités de microalgues produites, teneurs en molécules d’intérêt) et environnemental (fixation du CO2, utilisation de ressources organiques, etc.). Une telle approche permettra de rationaliser l’utilisation des différentes espèces de microalgues en fonction de leurs capacités et ainsi maximiser leur valorisation.
Maeva Subileau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.