L’IA façonne vos croyances : en êtes-vous vraiment conscient ?

Ce premier article d’une longue série explorera les fondations psychologiques nécessaires pour comprendre comment les chatbots IA s’apprêtent à devenir les plus puissants outils d’influence jamais créés. Les articles suivants vous emmèneront progressivement vers des territoires fascinants, mais aussi inquiétants, où nous découvrirons comment l’IA pourrait redéfinir non seulement nos croyances, mais aussi notre société... Voir l'article

Jan 27, 2025 - 15:03
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L’IA façonne vos croyances : en êtes-vous vraiment conscient ?

Ce premier article d’une longue série explorera les fondations psychologiques nécessaires pour comprendre comment les chatbots IA s’apprêtent à devenir les plus puissants outils d’influence jamais créés. Les articles suivants vous emmèneront progressivement vers des territoires fascinants, mais aussi inquiétants, où nous découvrirons comment l’IA pourrait redéfinir non seulement nos croyances, mais aussi notre société tout entière.
 

IA et croyances : introduction

 
Il y a quelques mois à peine, qui aurait cru qu’un simple chatbot pourrait devenir l’un des plus puissants outils d’influence de l’Histoire ? Pourtant, en à peine quelques mois, des millions de personnes consultent désormais ces assistants virtuels pour des conseils, des informations, et même des opinions sur des sujets complexes. Ce phénomène sans précédent soulève une question troublante : nos croyances sont-elles aussi solides que nous le pensons ?
 
“Les systèmes d’IA actuels sont les plus puissants outils de persuasion jamais créés par l’humanité. Leur influence sur nos croyances est d’autant plus dangereuse qu’elle est invisible.” – Ethan Mollick, Associate professeur à la Wharton School.
 
Avant même l’arrivée des chatbots, nos croyances étaient déjà profondément influencées par le numérique : recommandations de lecture basées sur l’IA, résultats de recherche optimisés… Mais pour comprendre comment l’IA conversationnelle (comme ChatGPT) pourrait bouleverser nos convictions les plus profondes, nous devons d’abord comprendre comment se forment et évoluent nos croyances dans le monde moderne.
 

La nature des croyances : un système complexe et dynamique

 
Pour comprendre l’impact potentiel de l’IA sur nos croyances, il est d’abord essentiel de saisir la nature même de ces dernières. Les croyances sont des idées ou des perceptions que nous tenons pour vraies sur le monde qui nous entoure.
 
Elles sont à la base de notre compréhension de la réalité et influencent directement nos attitudes, nos comportements et nos décisions. Elles peuvent être ancrées dans nos expériences personnelles, transmises par nos cultures ou nos communautés, ou forgées par l’information à laquelle nous sommes exposés. Mais à l’ère numérique, leur formation suit des chemins radicalement nouveaux.
 
Réalisons une expérience simple : prenez votre smartphone et comptez le nombre d’applications qui influencent quotidiennement vos opinions. Réseaux sociaux, agrégateurs d’actualités, forums de discussion… Chacune de ces plateformes participe activement à la construction de vos croyances, souvent sans que vous en ayez conscience.
 
Maintenant, prenez un instant pour considérer cette question : pourquoi êtes-vous si certain que l’école traditionnelle est le meilleur moyen d’apprendre ? Votre marque de café préférée est-elle la meilleure ? Ou même que l’amour est important ? Ces certitudes qui peuvent sembler si naturelles pour certaines personnes sont en réalité le fruit d’un processus complexe, façonné par vos expériences personnelles, votre culture, votre éducation, et maintenant… par les algorithmes qui sélectionnent l’information que vous consommez.
 
La psychologie suggère que nos croyances ne sont pas simplement passives ou arbitraires, mais plutôt le résultat d’un processus dynamique et complexe.
 
On peut généralement définir trois étapes dans la construction d’une croyance.
 
IA et croyances
 

La Formation des Croyances

(A. Bandura, L. Festinger, D. Kahneman…)
 
Les croyances que nous entretenons jouent un rôle primordial dans notre manière de comprendre et d’interagir avec le monde. Traditionnellement, ces croyances se façonnaient autour de trois processus majeurs : notre expérience personnelle, les influences sociales de notre entourage et notre capacité de raisonnement. Mais l’ère numérique a profondément transformé chacun de ces mécanismes.
 
 
1. L’expérience personnelle augmentée
Nos croyances se forgent au fil de nos expériences individuelles, souvent par le biais du conditionnement. Cette théorie avance que nos croyances naissent de l’association répétée entre des stimuli et des réponses. Par exemple, si une personne voit régulièrement un chat noir avant qu’un événement négatif ne se produise, elle pourrait finir par croire que les chats noirs portent malheur.
 
Aujourd’hui, cette expérience personnelle se trouve profondément modifiée : nos expériences directes se mêlent désormais aux expériences virtuelles. Les algorithmes de recommandations nous exposent sélectivement à certaines informations, créant ce qu’on pourrait appeler des “vérités personnalisées”. Si vous recherchez des informations sur la méditation, par exemple, les algorithmes vous montreront principalement des témoignages positifs, créant artificiellement une surreprésentation des expériences réussies.
 
 
2. La nouvelle socialisation numérique
La socialisation a toujours joué un rôle crucial dans la formation de nos croyances. Traditionnellement, nos idées et convictions étaient largement influencées par notre entourage proche, notamment durant l’enfance. Nos croyances religieuses, par exemple, sont souvent une réplique de celles de notre famille ou de notre communauté.
 
Mais aujourd’hui, cette socialisation prend une dimension nouvelle. Les influenceurs remplacent progressivement les figures d’autorité traditionnelles. Les communautés en ligne deviennent de véritables incubateurs de croyances, où la validation sociale s’exprime en likes, partages et commentaires.
 
 
3. Le raisonnement à l’ère de l’information instantanée
 
Notre capacité de raisonnement, déjà naturellement influencée par nos biais cognitifs (on a fait une série d’articles sur les différents biais cognitifs ici), fait face à de nouveaux défis. Dans le monde “réel”, le biais de disponibilité nous amenait déjà à surévaluer la probabilité d’événements dont les exemples nous venaient facilement à l’esprit – comme croire que les voyages en avion sont particulièrement dangereux après avoir entendu parler d’accidents.
 
Ce phénomène est aujourd’hui exacerbé par plusieurs facteurs :
La surcharge informationnelle nous pousse vers des raccourcis cognitifs toujours plus nombreux ;
La rapidité de l’information limite notre capacité de réflexion profonde ;
Les bulles de filtres renforcent nos biais de confirmation en nous exposant principalement à des informations qui confortent nos croyances préexistantes.
 
Cette transformation numérique de la formation des croyances prépare le terrain pour l’influence encore plus profonde des chatbots IA. Car si les réseaux sociaux et les algorithmes ont déjà modifié la façon dont nous construisons nos convictions, que se passera-t-il lorsque ces mécanismes seront exploités par des systèmes capables d’interagir avec nous de manière personnalisée et apparemment naturelle ?
 

Le maintien des croyances

(L. Festinger, C. Tavris et E. Aronson…)
 
Une fois établies, nos croyances démontrent une remarquable résilience, résistant souvent même face à des informations qui les contredisent. Cette persistance s’explique notamment par deux mécanismes psychologiques fondamentaux : le biais de confirmation et notre besoin de cohérence cognitive. Mais aujourd’hui, ces mécanismes sont amplifiés par nos environnements numériques.
 
Le biais de confirmation, ce mécanisme qui nous pousse à privilégier les informations confirmant nos croyances, trouve dans les réseaux sociaux son terrain de jeu idéal.
 
Prenons l’exemple des réseaux sociaux : leurs algorithmes nous montrent principalement du contenu qui confirme nos opinions préexistantes. Si vous êtes convaincu des bienfaits du végétarisme, votre fil d’actualité se remplira progressivement d’articles sur les avantages de ce régime, d’influenceurs véganes et de témoignages positifs. Les rares articles critiques ou nuancés seront soit ignorés par l’algorithme, soit inconsciemment écartés par votre esprit.
 
C’est ce qu’on appelle une “bulle de filtre” – un écosystème numérique qui reflète et amplifie nos croyances.
 
Ce phénomène fonctionne exactement comme le biais des chats noirs : de même qu’une personne superstitieuse remarquera uniquement les incidents suivant la rencontre d’un chat noir en ignorant toutes les rencontres sans conséquence, l’utilisateur des réseaux sociaux aura tendance à retenir et partager uniquement les informations qui confortent sa vision du monde.
 
La différence cruciale ? Les algorithmes amplifient ce biais naturel en nous servant toujours plus de contenus alignés avec nos préférences.
 
À ce biais de confirmation s’ajoute un autre mécanisme puissant, particulièrement visible sur les réseaux sociaux : notre besoin constant de cohérence cognitive, théorisé par Festinger. Confrontés à des informations qui contredisent nos convictions, nous préférons souvent réinterpréter la réalité plutôt que de modifier nos croyances.
 
Imaginez un utilisateur convaincu des bienfaits d’un régime particulier : face à une étude scientifique contradictoire, il pourrait rapidement la discréditer (“étude financée par l’industrie”), minimiser sa portée (“ça ne s’applique pas à mon cas”), ou chercher des contre-exemples dans sa communauté en ligne (“regardez tous ces témoignages positifs !”).
 

Le changement de croyances

(W. James, C. Rogers, T. Kuhn…)
 
Modifier nos croyances : pourquoi est-ce si difficile ? Ce processus, bien que naturel, s’avère souvent complexe car il nous pousse à réévaluer les fondements mêmes de nos convictions.
 
Les travaux de Chinn et Brewer sur la théorie du changement de croyance nous éclairent sur ce phénomène : c’est notamment lorsque nous rencontrons des informations qui contredisent nos certitudes que ce processus se met en marche. La difficulté vient du fait que nos croyances forment un réseau interconnecté – comme un château de cartes où modifier une pièce peut ébranler l’ensemble. Face à des preuves suffisamment solides, nous pouvons vivre une véritable “crise de croyance” qui peut nous amener à revoir nos positions.
 
Qu’est-ce qui influence notre capacité à changer d’avis ? Plusieurs éléments entrent en jeu : la fiabilité perçue de la source d’information, la façon dont les nouveaux éléments nous sont présentés, et même nos propres biais cognitifs jouent un rôle crucial. Plus concrètement, nous sommes naturellement plus enclins à questionner nos croyances quand l’information vient d’une source que nous respectons et que les arguments sont présentés de manière claire et persuasive.
 
La recherche sur la résistance à la persuasion révèle toutefois un aspect important de notre psychologie : nous avons tendance à nous accrocher à nos croyances, particulièrement quand elles touchent à notre identité profonde.
 
Prenons un exemple parlant : imaginez quelqu’un qui croit profondément aux vertus du travail acharné. Même confrontée à des études démontrant les effets néfastes du surmenage sur la santé et la productivité, cette personne pourrait résister au changement.
 
Pourquoi ? Parce que cette croyance fait partie intégrante de son identité de “travailleur dévoué”. Pour l’aider à évoluer, il ne suffit pas de présenter des études contradictoires – il faut aussi proposer des alternatives qui préservent ses valeurs, comme des méthodes de travail plus efficaces qui respectent son éthique professionnelle.
 
Une conclusion s’impose : l’adoption d’une nouvelle croyance ou connaissance dépend souvent moins de sa véracité que de sa capacité à nous convaincre. L’histoire de Galilée en est l’illustration parfaite : ses théories n’ont pas été rejetées parce qu’elles étaient fausses, mais parce qu’elles bousculaient trop fortement les convictions de son époque.
 
Formation des croyances
 

IA et croyances : l’émergence de nouvelles sources d’influence

 
Si comprendre la formation et l’évolution de nos croyances est crucial, c’est parce que nous sommes à l’aube d’une révolution silencieuse. Les chatbots IA ne sont que la partie émergée d’un iceberg bien plus profond : une transformation radicale de la façon dont nos opinions, nos convictions et même nos valeurs seront façonnées dans les années à venir.
 
Aujourd’hui, la formation de nos croyances n’est plus seulement façonnée par nos cercles sociaux traditionnels. De nouveaux acteurs transforment profondément la manière dont nous construisons nos convictions : les influenceurs digitaux et les algorithmes de recommandations ont déjà changé les règles du jeu. Et maintenant, une nouvelle force entre en scène : les chatbots IA.
 
Ce qui rend ces influences numériques particulièrement puissantes, c’est leur capacité d’adaptation en temps réel. Un influenceur analyse l’engagement de son audience pour affiner son message. Les algorithmes ajustent minutieusement leurs recommandations selon nos moindres interactions, créant un environnement informationnel sur mesure qui renforce subtilement nos convictions existantes.
 
Mais l’arrivée des chatbots IA marque un tournant encore plus significatif. Contrairement aux influenceurs ou aux algorithmes de recommandation, ces systèmes peuvent engager une conversation personnalisée avec des millions d’utilisateurs simultanément. Ils s’adaptent non seulement à nos réactions, mais aussi à nos doutes, nos questions, nos hésitations, et de nombreux autres biais… Cette capacité de dialogue sophistiqué ouvre la voie à une forme d’influence plus subtile et plus profonde sur nos croyances.
 

IA et croyances : le véritable impact des chatbots

 
Ce premier article vous a permis de comprendre les mécanismes fondamentaux qui régissent nos croyances. Dans les prochains articles, nous verrons comment les chatbots IA exploitent ces mécanismes d’une manière totalement inédite. Nous découvrirons pourquoi leur influence pourrait être bien plus profonde et pernicieuse que celle de toutes les technologies précédentes.
 
Car les chatbots IA ne sont pas simplement un nouvel outil technologique – ils représentent une rupture fondamentale dans notre rapport à la connaissance et à la vérité. Imaginez un instant : vous discutez avec une IA qui, contrairement à un simple algorithme de recommandation, peut engager une véritable conversation avec vous. À chaque échange, elle affine sa compréhension de votre psychologie, ajuste son discours, trouve les mots justes pour vous convaincre.
 
Cette capacité soulève des questions troublantes qui seront au cœur de notre exploration dans les prochains articles : Comment distinguer nos véritables convictions de celles subtilement suggérées par ces conversations ? Comment ces systèmes pourront-ils être utilisés pour influencer massivement nos opinions ? Qui contrôlera réellement ces outils d’influence sans précédent ? Et surtout, comment préserver notre autonomie de pensée dans un monde où les IA deviendront nos principaux interlocuteurs ?
 
 
 
En attendant l’article suivant, prenez un moment pour examiner vos dernières interactions avec une IA. Vous souvenez-vous d’une conversation où elle a subtilement modifié votre point de vue ? Vous êtes-vous déjà surpris à accorder plus de crédit à son avis qu’à celui d’un expert humain ? Et surtout, vous êtes-vous déjà demandé si certaines de vos convictions actuelles ont été façonnées non pas par votre réflexion personnelle, mais par ces dialogues en apparence anodins avec une intelligence artificielle ?