Les règles budgétaires : une fausse bonne idée ?

Le premier ministre François Bayrou doit élaborer un budget qui s’inscrive le plus possible dans le cadre des règles européennes. Mais d’où vient l’idée de ces règles ?

Jan 26, 2025 - 20:01
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Les règles budgétaires : une fausse bonne idée ?

Après son discours de politique générale, le premier ministre François Bayrou doit élaborer un budget qui s’inscrive le plus possible dans le cadre des règles budgétaires européennes, tout en évitant la censure qui coûta la place à son prédécesseur. Mais d’où vient l’idée de ces règles ? Sont-elles efficaces ? ou, une contrainte inutile ?


Suspendues pendant près de quatre ans en raison de la pandémie de Covid et des répercussions de la guerre en Ukraine, les règles budgétaires de l’Union européenne sont de nouveau appliquées. Conformément au Pacte de stabilité et de croissance, les États membres doivent maintenir leur déficit en dessous de 3 % du PIB et leur dette en dessous de 60 % du PIB. C’est précisément en raison du non-respect de ces règles que la France a été placée, en juillet 2024, sous procédure de déficit excessif, aux côtés de pays comme l’Italie, la Hongrie, la Pologne, la Belgique ou la Roumanie.

Les objectifs fixés sont en effet largement dépassés : le déficit public français atteignait 6 % en 2024, et la dette environ 112 %. Un record en temps de paix. La situation ne devrait pas s’améliorer, avec un déficit prévu de 5,5 % en 2025. Dans ce contexte de dérapage des comptes publics, les règles budgétaires européennes ont-elles encore un sens ? Ou bien sont-elles devenues obsolètes, vestiges d’une époque révolue, où la convergence économique devait servir de fondement à la monnaie unique dans le cadre du traité de Maastricht ?

Des règles fixes

Les règles budgétaires dites « fixes » qui imposent aux gouvernements de respecter des seuils pour certains agrégats budgétaires, comme le déficit ou la dette, trouvent leurs fondements théoriques dans les recherches académiques des années 1970 et 1980.

Deux principaux arguments justifient alors leur adoption. Le premier argument s’appuie sur les principes de l’économie politique, notamment ceux développés par l’école des choix publics (ou « public choice » dans la version originale). Dans cette perspective, les règles ont pour objectif de discipliner les gouvernements et de réduire leur « biais en faveur du déficit ». Les dirigeants, comme tout agent, poursuivent souvent leurs propres intérêts, notamment leur réélection. Cela peut les inciter à manipuler les variables budgétaires à des fins électorales : par exemple, en augmentant les dépenses publiques avant une élection pour séduire les électeurs, puis en les réduisant une fois réélus (les fameux cycles politico-budgétaires).

En outre, les gouvernants peuvent utiliser la dette publique comme un outil stratégique : soit pour contraindre les choix de leurs successeurs, soit pour influencer leur propre électorat, ou encore pour renforcer leur image de dirigeants compétents en se présentant comme ceux qui s’attaquent à la réduction de la dette.

Un problème de rationalité

Le second argument est lié à un problème de rationalité économique. Un État peut accumuler une dette excessive en raison d’un problème « d’incohérence temporelle » : les citoyens rationnels ne font pas confiance aux promesses budgétaires des gouvernements, car ils anticipent que ces derniers peuvent modifier leurs politiques à l’avenir. Cette perte de crédibilité peut empêcher les gouvernements, même bien intentionnés, de mettre en œuvre des politiques socialement souhaitables. La seule solution consiste à restreindre leur pouvoir discrétionnaire en adoptant des règles rigides, qui les contraignent à suivre une trajectoire préétablie dans le temps.

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Ces deux arguments ont conduit à la popularité des règles budgétaires, dites de « première génération », qui imposent des cibles strictes, telles qu’un ratio de dette souvent fixé à 60 % du PIB (basé sur une moyenne historique à long terme) et un déficit limité à 3 % du PIB. D’après la base de données sur les règles budgétaires du FMI, 92 des 96 pays étudiés en 2015 appliquaient au moins une règle, contre seulement 5 pays en 1985.

Des règles contre-productives

Cependant, bien que l’argument de l’inconséquence temporelle soit difficilement contestable, l’argument d’économie politique mérite d’être repensé. Contraindre les gouvernements à ne pas manipuler les variables budgétaires repose davantage sur des mécanismes de transparence que sur l’adoption de règles rigides. En réalité, le consensus dans la recherche académique est aujourd’hui clair : ces règles fixes sont souvent contre-productives.

France 24, 2024.

D’une part, elles empêchent les États de mettre en œuvre des politiques de relance en période de crise. C’est précisément pour cette raison que les règles européennes ont été suspendues pendant la pandémie de Covid, afin de permettre aux États de soutenir leurs économies – le célèbre « quoi qu’il en coûte ». Cette situation soulève un paradoxe : à quoi sert une règle censée s’appliquer en tout temps si elle doit être suspendue en période de crise ?

D’autre part, ces règles rigides freinent le développement des nations à long terme en limitant les investissements publics, notamment dans les infrastructures et le capital humain. Enfin, elles risquent de déstabiliser l’économie.

Place aux règles flexibles

Des critiques ont ainsi été formulées, non pas contre l’existence des règles budgétaires, mais contre leur rigidité excessive. C’est dans ce cadre que l’idée de règles plus flexibles, appelées « seconde génération », a émergé. Ces nouvelles approches cherchent à offrir aux États une plus grande flexibilité, tout en préservant une discipline budgétaire visant à assurer la soutenabilité de leur dette publique à long terme.

C’est dans ce contexte qu’en 2018, la Commission européenne s’est engagée à réformer le cadre de gouvernance budgétaire de l’Union. Cela a marqué le début d’un véritable « concours Lépine » académique, pour reprendre l’expression ironique d’Henri Sterdyniak, visant à proposer de nouvelles règles. L’idée principale était de mettre en place des règles dont les cibles de dette (ou de déficit) seraient ajustées en fonction du cycle économique. Par exemple, en période de récession, ces objectifs seraient temporairement assouplis pour permettre aux gouvernements d’augmenter leurs dépenses.


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Une autre option serait d’introduire des clauses de sortie, comme cela a été fait lors des crises du Covid ou de la guerre en Ukraine. D’autres économistes suggèrent d’adopter des cibles de court terme, où la dette ne devrait pas dépasser un certain seuil sur une période de cinq ans, en fonction des spécificités de chaque pays. Fixer le ratio d’endettement sur cinq ans serait politiquement plus réaliste que de définir une trajectoire sur plusieurs décennies, cette échéance étant alignée sur la durée du mandat exécutif.

La flexibilité des règles s’accompagne donc d’une complexité croissante. Il ne suffit plus de définir des cibles d’endettement claires, mais aussi de fixer des seuils à partir desquels ces règles peuvent être assouplies ou remises en cause, voire de déterminer l’horizon temporel pendant lequel elles doivent être respectées. Finalement, si les règles fixes sont si néfastes et les règles flexibles si difficiles à appliquer, peuvent-elles encore avoir un réel intérêt ?

Des règles budgétaires pour limiter l’inflation ?

Dans le contexte postérieur au Covid et de reprise de l’inflation, les règles budgétaires conservent un intérêt souvent sous-estimé. En effet, la période récente a été marquée par une forte « dominance budgétaire » (« fiscal dominance »), où les gouvernements, en adoptant des politiques budgétaires expansionnistes, ont limité les options de la Banque centrale, malgré son indépendance. Celle-ci a dû adapter sa politique aux choix des États, notamment en rachetant massivement des titres d’emprunt public, comme cela a été le cas avec le programme d’achats d’urgence (PEPP) lancé en 2020. Dans ce contexte, où la Banque centrale suit les décisions gouvernementales, la théorie fiscale des prix (« fiscal theory of the price level »), développée dans les années 1990, peut redevenir pertinente.

Cette théorie stipule que le niveau des prix est déterminé par la dette publique, ainsi que par les prévisions des programmes d’imposition et de dépenses futures, et non directement par la politique monétaire. Ainsi, l’introduction d’une règle budgétaire, même flexible, pourrait avoir un effet direct sur l’inflation : en limitant la trajectoire du déficit, elle pourrait contribuer à limiter la hausse des prix.

Le « concours Lépine » pour réformer les règles budgétaires est loin d’être terminé, et ce n’est pas un hasard : définir ces règles ne se résume pas à de simples calculs techniques, mais soulève des enjeux plus profonds de théorie économique. Actuellement, les modèles standards utilisés par les grandes institutions, comme les modèles « DSGE » (« Dynamiques stochastiques d’équilibre général »), peinent à évaluer de manière fiable la soutenabilité des dettes publiques et à prévoir la persistance de l’inflation, comme l’a souligné Stiglitz en 2018. Il est donc essentiel de repenser la gouvernance budgétaire de l’UE et d’élaborer des règles réellement efficaces en repensant les bases de la théorie macroéconomique.The Conversation

Maxime Menuet a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche au titre du projet SustainDebt (ANR-24-CE26-3350)