Les leçons du Forum de Davos 2025

Du 20 au 24 janvier, 3 000 dirigeants politiques et d’entreprises étaient réunis à Davos. Mais qu’est-ce que le Forum de Davos ? Et qu’a dit Donald Trump dans son intervention ?

Jan 29, 2025 - 00:13
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Les leçons du Forum de Davos 2025
La vraie thématique en 2025 a été celle du retour du protectionnisme et des relations bilatérales face au multilatéralisme, cristallisée par l’intervention de Donald Trump. Boris-B/Shutterstock

Du 20 au 24 janvier, 3 000 acteurs économiques, politiques et technologiques se sont réunis dans la station suisse de Davos. Mais qu’est-ce que Davos ? Qu’a dit Donald Trump dans son intervention ? Ce sommet 2025 a-t-il été celui du début de la « nouvelle ère de concurrence géostratégique acharnée », selon les mots d’Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne ? Explication par Julien Pillot, enseignant-chercheur à l'Inseec et Philippe Naccache, professeur associé à l'Inseec.*


Qu’est-ce le forum de Davos ?

Julien Pillot La vocation première du Forum économique mondial ou forum de Davos est d’être un lieu d’échanges entre dirigeants politiques, chefs d’entreprise et intellectuels pour relever les défis de notre temps, qui nécessairement nécessitent une vision collective à l'échelle internationale. Sa feuille de route ambitieuse est « d’améliorer l’état du monde » – « improving the state of the world » – par le dialogue et le consensus. Cependant, nous sommes loin de l’idée complotiste d’un sommet où le gotha mondial prend les décisions sur l’avenir de notre économie. Dans ce Forum, il n’y a que des débats. Pas d'agenda politique (caché).

Philippe Naccache Le premier nom de Davos était le « Symposium européen du management », avant de prendre son nom actuel en 1987. Ce n’est pas un hasard si Klaus Schwab, son créateur, souhaite initialement sensibiliser les dirigeants d’entreprise aux nouvelles méthodes de management de stakeholder value – ou théorie des parties prenantes – venues d’outre-Atlantique. Le fil rouge de cette théorie ? Tous les acteurs affectés de près ou de loin avec une entreprise doivent être pris en compte dans sa stratégie : consommateurs, salariés, ONG ou collectivités publiques. Elle est le socle de toute stratégie de responsabilité sociale et environnementale.


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Julien Pillot C’est pourquoi le forum s’est rapidement orienté, dans un second temps, vers la politique et des problématiques sociales ou environnementales. En 1988, la Grèce et la Turquie signent la « déclaration de Davos » pour éviter un risque d’escalade militaire. En 1992, Nelson Mandela et De Clerck se rencontrent pour la première fois à l’étranger. Cette année, Klaus Schwab a échangé avec le footballeur David Beckham au sujet des droits des enfants. Les autres acteurs phares sont politiques : Donald Trump, Volodymyr Zelensky ou Ursula von der Leyen.

Attendu, Donald Trump est apparu sur l’écran géant de la salle des Congrès de Davos en visioconférence par une salve : « Venez produire en Amérique, ou préparez-vous à payer des droits de douane. » Qu’en est-il ressorti ?

Julien Pillot Les présidents américains sont toujours très attendus à Davos, car ils représentent la première puissance économique, diplomatique et militaire mondiale. Donald Trump l’est encore davantage. Il incarne une forme de rupture avec l’une des idées fondamentales du capitalisme libéral – mais aussi du forum de Davos – d’un ordre mondial fondé sur le multilatéralisme, la coopération et la recherche. Tout en trouvant une forme de consensus par la négociation. Or, Donald Trump n’est pas dans la négociation, mais dans le rapport de force systématique. Rapport de force qu’il entend exercer dans des relations bilatérales, pourvu qu’elles servent ses intérêts. Son propos à Davos reprend la rhétorique de sa campagne électorale : America first ou « Drill, baby, drill » (« Creuse, bébé, creuse »). En avant toute le forage de pétrole et de gaz, que Donald Trump jugent indispensables pour faire baisser les coûts de l’énergie et inciter des industries à se (re)localiser aux États-Unis. Sans se soucier de savoir si sa croissance nationale se fait au détriment des autres économies, y compris partenaires, ou de l’environnement.

Philippe Naccache Donald Trump ne raisonne plus en termes de compétition, mais en termes expansionnistes voire impérialistes. Sa position sur le Groenland est révélatrice de sa volonté des États-Unis d’être un « prédateur dominant », comme l’affirme Andy Ogles, élu du Tennessee à la Chambre des représentants. Tous les autres acteurs sont obligés de se positionner vis-à-vis de lui. J’ai été interpellé par Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne qui accepte cette réalité :

« L’ordre mondial coopératif que nous imaginions il y a vingt-cinq ans n’est pas devenu réalité. Au contraire, nous sommes entrés dans une nouvelle ère de concurrence géostratégique acharnée. »

Et en même temps, elle rappelle que l’Union européenne agira avec pragmatisme sur la question des droits de douane américaine. Le président sud-africain Cyril Ramaphosa – dont le pays présidera le G20 cette année – lance lui aussi un appel en faveur d’une plus grande collaboration :

« Alors que nous sommes confrontés aux défis du XXIe siècle – du changement climatique aux pandémies, en passant par la lutte contre la pauvreté et le terrorisme, de la migration à l’intelligence artificielle –, nous sommes à nouveau appelés à exploiter cet attribut humain le plus puissant et le plus durable : la coopération et la collaboration mutuellement bénéfiques. »

Le forum de Davos en 2025 était centré sur « la collaboration à l’ère de l’intelligence ». Cette thématique reflète-t-elle les échanges ?

Julien Pillot À mon sens, la thématique forte en 2025 est celle du retour du protectionnisme et des relations bilatérales face au multilatéralisme, cristallisée par les interventions de Donald Trump ou Javier Milei. Le président argentin rappelle son souhait de supprimer les règlementations et les excès de normes :

« Si vous pensez qu’il y a une défaillance du marché, allez vérifier si l’État n’est pas au milieu, et si vous le trouvez, ne refaites pas l’analyse – parce qu’elle est fausse. »

Et avant de parler de « collaboration à l’ère de l’intelligence », le forum de Davos parle d’économie. Tout a commencé par le chiffre de 3,3 % de croissance pour 2025 publié par le Fonds Monétaire internationale (FMI). Il traduit une certaine stabilité dans un monde pourtant chamboulé par la guerre en Ukraine, la politique expansionniste de Donald Trump et les signes de fatigue de l’économie chinoise.

Philippe Naccache Un autre thème majeur iconique de Davos est celui des inégalités. Déjà en 2018, la présidente du FMI Christine Lagarde insiste sur le fait que « trop de personnes sont laissées pour compte de l’accélération de la croissance ». Ces dernières décennies ont en effet donné plus d’avantages au capital qu’au travail. Les mesures de quantitative easing, les taux d’intérêt négatifs ont favorisé les acteurs économiques ayant accès aux marchés de capitaux pour mener des stratégies d’investissement ciblées. En creusant le fossé entre ceux qui détiennent le capital et ceux qui n’en ont pas.


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Julien Pillot L’intelligence artificielle a également été un sujet majeur des débats. Donald Trump a rappelé que les États-Unis seraient « le leader mondial de l’intelligence artificielle (IA) ». Le pape François estime que « les résultats que l’IA peut produire sont presque impossibles à distinguer de ceux des êtres humains, ce qui soulève des questions quant à son effet sur la crise croissante de la vérité dans le débat public. » À plus forte raison dans un monde où la défiance envers les médias historiques et les élites progresse fortement, et où recule le fact-checking sur les réseaux sociaux. Au-delà des discours politiques, les conférences ont rappelé que si peu de professions ne sont pas transformées par l’IA, peu d’entre elles seront détruites par l’IA.

Philippe Naccache Finalement le terme de coopération s’est centré autour des questions environnementales. Aussi surprenant que cela paraisse, la coopération par l’environnement est peut-être le plus petit dénominateur commun des États et des entreprises. Il y a quelques années, notamment en 2020, la thématique environnementale était centrale. Cette année Patrick Pouyané, le président-directeur général de Total Énergies a tiré la sonnette d’alarme à l’Union européenne – « Je ne suis pas protégé » –, appelant « à réconcilier l’objectif du Pacte vert et de l’industrie verte ». « Si je veux avoir une incitation fiscale, je suis obligé de prendre des fabricants de panneaux solaires aux USA », a-t-il expliqué.

Julien Pillot Sur le plan géostratégique, j’ai le sentiment que face à la montée en puissance de discours nationalistes, voire impérialistes, et du bouleversement promis par Donald Trump, le forum de Davos peut se résumer en une phrase : « Resist or serve ». Il acte l’effondrement des rêves européens de multilatéralisme et rappelle le besoin de s’affranchir des rouleaux compresseurs américains et chinois, selon une logique de blocs. La nouvelle ère de la concurrence géostratégique acharnée est véritablement lancée.The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.