La poliomyélite ou « polio » : une maladie toujours d’actualité

La situation géopolitique, comme les conflits à Gaza, en Afghanistan ou au Pakistan, freine l’éradication de la poliomyélite et favorise des épidémies liées à des virus dérivés des vaccins.

Jan 30, 2025 - 21:55
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La poliomyélite ou « polio » : une maladie toujours d’actualité

Le virus de la poliomyélite (ou « polio »), cette maladie infectieuse qui peut notamment donner des paralysies des membres inférieurs, continue de circuler, comme l’illustrent des alertes à Gaza, en 2024. La situation géopolitique mondiale freine son éradication, pourtant proche, et favorise la survenue d’épidémies liées à des virus dérivés des vaccins.


La poliomyélite, plus couramment appelée « polio », a marqué le XXe siècle comme l’une des maladies infectieuses les plus emblématiques. Elle a eu un impact considérable, notamment dans la première moitié du siècle, durant laquelle de nombreuses épidémies ont été à l’origine de paralysies ou de décès touchant principalement les enfants.

Des alertes de « polio » à Gaza en 2024

Alors que beaucoup la croyaient éradiquée, des alertes récentes, comme celle survenue dans la bande de Gaza en 2024, ont rappelé la persistance de cette menace, surtout dans des contextes sanitaires dégradés.

Ces situations favorisent les poussées épidémiques et montrent que la polio reste une maladie dont le risque ne peut être ignoré. Le virus continue à circuler également dans des pays a priori épargnés par ces problèmes. Ainsi, ces derniers mois, un poliovirus de type 2 dérivé d’une souche vaccinale (nous détaillerons ce point plus loin dans l’article) a été détecté dans des échantillons d’eaux usées en Espagne, en Pologne et en Allemagne.

Une présence attestée depuis l’Égypte antique

Photo d’une stèle représentant une victime de la polio, Égypte, XVIIIᵉ Dynastie (1403–1365 AEC)
Stèle représentant une victime de la polio, Égypte, XVIIIᵉ Dynastie (1403–1365 AEC). Deutsches Grünes Kreuz, CC BY

La polio est connue depuis l’antiquité. Sa présence est attestée dès l’Égypte ancienne, avec une représentation d’un homme qui en est atteint sur une stèle datant de 1400 avant notre ère.

Toutefois, ce n’est qu’à partir du XIXe siècle qu’elle commence à susciter un intérêt scientifique et médical. Sir Walter Scott a ainsi décrit dans ses écrits les symptômes de la maladie qui l’a touché enfant.

Des poliovirus transmis par voie oro-fécale

Les poliovirus, les virus responsables de la maladie, appartiennent au genre entérovirus et à la famille des Picornaviridae. Ces virus à ARN simple brin, non enveloppés, se transmettent principalement par voie oro-fécale (c’est-à-dire par la consommation d’aliments contaminés et d’eau souillée par des selles).

Ils se répliquent dans le tube digestif et ne trouvent des récepteurs que dans les cellules humaines, ce qui explique l’absence de réservoir animal. Ils se répliquent également dans le pharynx mais une transmission directement humaine par voie pharyngée reste l’objet de discussion.

La période d’incubation moyenne de la maladie est de 10 jours. Cependant, la majorité des infections (plus de 90 %) restent asymptomatiques. Dans ces cas, les individus infectés contribuent néanmoins à la propagation du virus par excrétion fécale.

Environ 5 % des personnes infectées présentent des symptômes légers associant fièvre, fatigue ou vomissements, tandis qu’un plus faible pourcentage voit le virus atteindre le système nerveux central, provoquant raideurs, douleurs musculaires et, dans 0,1 % des cas, des paralysies flasques aiguës. Ces paralysies, souvent permanentes, touchent les membres inférieurs et, parfois, les muscles respiratoires, mettant en danger la vie du patient.

Il existe trois sérotypes de poliovirus dont un seul persiste à l’heure actuelle à l’état sauvage :

  • WPV1, le plus virulent, associé aux épidémies les plus graves ;

  • WPV2, éradiqué en 1999, moins virulent ;

  • WPV3, éradiqué en 2012, le moins agressif des trois.

Les conditions sanitaires jouent un rôle clé dans la transmission du virus : une hygiène insuffisante favorise sa propagation.

Réponses immunitaires et limites des deux vaccins

Deux types de vaccins ont été développés pour lutter contre la polio, ils contiennent tous les deux les trois différents virus de la polio :

  • Le vaccin inactivé (VPI) : créé par Jonas Salk en 1954, il contient des virus inactivés et s’administre par injection. Il induit une réponse immunitaire systémique efficace mais pas de réponse au niveau de la muqueuse digestive ;

  • Le vaccin oral atténué ou vaccin polio oral (VPO) : développé par Albert Sabin et introduit en 1961, ce vaccin utilise des virus vivants atténués. Administré par voie orale, il stimule une réponse immunitaire similaire à celle d’une infection naturelle, y compris au niveau intestinal, limitant ainsi la transmission.

Ces vaccins ont permis une réduction spectaculaire des cas de polio dans le monde, mais chacun présente des limites. Le vaccin inactivé protège contre la maladie paralysante, mais pas contre l’excrétion virale, tandis que le vaccin polio oral, bien qu’efficace contre la transmission, peut s’accompagner de mutations virales à l’origine de virus pathogènes responsables d’authentique cas de polio (nous reviendrons sur ce point plus loin).

Vers une éradication mondiale ? des succès et des obstacles

Depuis le lancement en 1988 de l’Initiative mondiale pour l’éradication de la poliomyélite par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), des progrès significatifs ont été réalisés dans le contrôle de la maladie. Les cas annuels de polio dus à des virus sauvages sont passés de 350 000 à quelques dizaines aujourd’hui, concentrés principalement en Afghanistan et au Pakistan. Ils ne concernent plus que des infections par le sérotype 1, les sérotypes 2 et 3 sauvages ayant disparu.

Les campagnes de vaccination de masse, comme celles menées en Amérique par l’Organisation panaméricaine de la santé (PAHO), ont démontré que l’éradication est possible. En 1991, le continent américain a ainsi été déclaré exempt de polio.

Toutefois, la situation est plus complexe dans des régions où les infrastructures sanitaires sont déficientes, aggravée par les conflits politiques et les résistances culturelles à la vaccination.

Couvertures vaccinales insuffisantes et poliovirus dérivés

L’utilisation massive du vaccin polio oral, qui est utilisé préférentiellement dans les stratégies d’éradication, a conduit à un problème inattendu. En effet, comme les virus sauvages, les virus atténués utilisés dans le vaccin VPO peuvent muter, retrouvant ainsi parfois leur virulence initiale. Ces virus, appelés poliovirus dérivés de vaccin (PVDV), ont ainsi été à l’origine d’épidémies dans des zones où la couverture vaccinale est insuffisante.

Les premiers cas de polio liés à des poliovirus dérivés de vaccins ont été détectés très tôt après la mise au point des vaccins polio oraux. Mais cela n’est devenu problématique que dans les années 2000, notamment en Afrique et en Asie.

Les épidémies liées à ces poliovirus dérivés de vaccins surviennent dans des contextes où moins de 50 % des enfants ont reçu au moins trois doses de vaccin. Cette couverture insuffisante favorise la diffusion de ces virus mutés.

Depuis 2018, les cas de polio causés par des poliovirus dérivés de vaccins ont dépassé ceux dus aux souches sauvages. On note ainsi 2296 cas de polio survenus dans 35 pays, 25 sur le continent africain et 10 en Eurasie sur la période 2018-2021. En 2022, des poliovirus de type 2 dérivés du vaccin ont également été détectés dans les eaux usées de Londres et de New York, révélant une diffusion inattendue en Occident (alors que la souche sauvage du sérotype 2 a disparu).

Un cas de paralysie lié à un poliovirus dérivé de vaccin, survenu chez une personne non vaccinée et n’ayant jamais quitté les États-Unis, a même été signalé dans l’État de New York. Ces événements illustrent la nécessité de renforcer la surveillance, y compris dans les pays où la polio est considérée comme éradiquée.

Nouvelles solutions vaccinales

Une des premières mesures prises – bien que tardivement – pour essayer de contrôler les cas de polio en évitant l’émergence de poliovirus dérivés de vaccins a été de réduire le nombre de valences vaccinales (c’est-à-dire de sérotypes dans le vaccin).

Cette diminution s’avérait pertinente pour deux raisons :

  • supprimer du vaccin un sérotype n’existant plus à l’état sauvage parait une évidence car il n’y a plus de raison de se protéger contre celui-ci. En revanche, on risque de favoriser l’émergence d’un poliovirus dérivé de vaccin lié à ce sérotype ;

  • la réduction du nombre de valences améliore l’efficacité du vaccin contre les souches restantes.

Malheureusement, ces réductions de valence ont été parfois trop tardives.

Face aux risques d’émergence de poliovirus dérivés de vaccins avec les vaccins polio oraux classiques, des vaccins génétiquement modifiés, comme le nVPO2, ont été développés. Ces nouveaux vaccins atténués sont conçus pour être plus stables génétiquement, réduisant ainsi le risque de mutations conduisant à un retour à la virulence.

Depuis 2021, le nVPO2 a été utilisé dans 30 pays sur plus de 700 millions d’enfants. Bien que ce vaccin soit beaucoup plus sûr, sept émergences d’épidémies de poliovirus dérivés de vaccins (cPVDV2) liées à nVPO2 ont été décrites dans six pays entre août 2021 et juillet 2023. Elles ont été à l’origine de 61 cas de paralysie post-poliomyélite).

Combiner les vaccins polio oraux atténués avec des vaccins polio inactivés est par ailleurs une approche intéressante.

Les vaccins inactivés peuvent par ailleurs être administrés par des technologies innovantes, comme les micro-patchs qui ne nécessitent pas d’aiguille, ce qui permet ainsi d’améliorer la couverture vaccinale et de faciliter l’élimination des dernières poches d’infection.

Une maladie miroir des inégalités

La polio, bien que proche de l’éradication, demeure une menace tant que des poches d’infection subsistent. L’épidémiologie de cette infection reflète les disparités géopolitiques et sanitaires mondiales. Les contextes de conflit, comme en Afghanistan, au Pakistan ou en Palestine, compliquent les campagnes de vaccination. En outre, les défis liés à la désinformation et à la méfiance envers les vaccins, amplifiés par des contextes de polarisation sociale, menacent les efforts d’éradication.

L’impossibilité actuelle d’obtenir une éradication et la survenue d’épidémies liées à des virus dérivés des vaccins sont moins la conséquence de difficultés scientifiques ou de manque d’outils que celles d’une situation géopolitique mondiale très complexe empêchant de mettre en place les stratégies adaptées.

La décision récente du président américain Donald Trump de retirer son pays de l’OMS pourrait avoir des conséquences importantes dans la stratégie d’éradication de la poliomyélite, les États-Unis contribuant pour 27 % au financement de celle-ci.

Dès lors, il est probable que nous assistions régulièrement à la survenue de cas nous invitant à rester attentifs et à maintenir une surveillance continue et à maintenir une couverture vaccinale élevée partout où c’est possible.The Conversation

Jean-Daniel Lelièvre est membre du VRI (Vaccine Research Institute). Le VRI est un laboratoire d'excellence (labex) financé par l'Etat. Il est expert vaccin auprès de la HAS, de l'OMS et de l'EMA (les positions tenues dans cet article ne reflète que son opinion personnel)