La compagnie CORSAIR joue-t-elle les flibustiers avec la Commission Européenne ?
« On ne prête qu’aux riches », c’est l’adage que la compagnie CORSAIR a dû avoir en tête ces dernières années. Pourquoi ? Parce que la compagnie française a tout mis en œuvre pour améliorer ses résultats et décrocher la poursuite du plan de soutien de l’Etat Français devant la Commission Européenne. Méritante, la petite […]
« On ne prête qu’aux riches », c’est l’adage que la compagnie CORSAIR a dû avoir en tête ces dernières années. Pourquoi ? Parce que la compagnie française a tout mis en œuvre pour améliorer ses résultats et décrocher la poursuite du plan de soutien de l’Etat Français devant la Commission Européenne. Méritante, la petite compagnie Française ? Sans doute, mais elle a aussi joué au filou et avec les flous des différents accords pour continuer de toucher son chèque du Trésor Public, et ça commence à se savoir jusqu’à Bruxelles.
Retour en arrière
La compagnie aérienne CORSAIR est en difficulté financière depuis la crise COVID et a bénéficié d’un premier plan de soutien de la France en 2020. CORSAIR essaie désormais de faire valider par l’UE et la DG concurrence les dernières aides obtenues : annulation de créances et nouveaux crédits d’impôts tout en d’agrandissant sa flotte de 9 à 10 avions, en parallèle de l’ouverture de nouveaux « slots » en Afrique vers Brazzaville (République du Congo) et Douala (Cameroun).
L’accord de la Commission européenne dépend de plusieurs facteurs, mais il doit surtout s’agir d’une simple « révision » du plan initial de 2020 et non d’un nouveau plan, car ceux-ci sont limités à un tous les 10 ans selon les règles de l’UE. Et c’est bien là que CORSAIR risque de rencontrer des problèmes pour plusieurs raisons.
Vent de face
CORSAIR ne doit pas seulement compter sur l’aide de l’Etat Français mais doit aussi proposer un plan crédible de développement et de remboursement sur ses propres deniers. Or, le nouvel actionnaire remplaçant le Congo, Abbas Jaber, PDG du groupe d’agro-alimentaire Advens, semble faire face à des difficultés de ventes d’actifs nécessaires pour sa participation au capital. Sans cette participation des actionnaires privés, le plan de redressement ne tient plus réellement la route.
Plus problématique, le plan de sauvetage initialement validé par la France table sur un dispositif à 9 avions (engagement de fleet cap pris en décembre 2020). Or le nouveau plan de développement table lui sur un dispositif à 10 avions, ce qui justifierait l’idée d’un nouveau plan, donc impossible à valider.
Plus gênant, sans ce 10ème avion, le business plan de CORSAIR est compromis, car une bonne partie des avions, financée sous crédit d’impôts, doivent en échange de ce crédit d’impôt être prioritairement affectés à des lignes desservant les DOM (au moins 80% du temps). Avec neuf avions dont la majorité ne peut être affecté que 20% du temps maximum aux nouvelles lignes africaines, ce serait mission impossible pour CORSAIR.
Combien d’avions déjà ?
C’est d’ailleurs pour cette raison qu’un 10ème avion (en leasing comme la majorité) est déjà utilisé et c’est probablement le point le plus problématique : CORSAIR utilise déjà des ressources qui n’était pas prévues par le premier plan de soutien et pour lesquelles l’UE n’a pas donné son accord, mais qui sont indispensables aujourd’hui au redressement de son activité, activité dont les perspectives servent à étayer le Business plan futur. En effet la Commission ne validera pas un plan de soutien à une entreprise condamnée à plus ou moins brève échéance, raison pour laquelle CORSAIR doit absolument faire la démonstration que la compagnie a un avenir ; « on ne prête qu’aux riches »…
Et la concurrence ?
CORSAIR est une entreprise sous perfusion d’argent public depuis 2020, chose dont n’ont pas bénéficié dans les mêmes proportions les compagnies concurrentes French Bee et Air Caraïbes du groupe Dubreuil, compagnies qui l’ont d’ailleurs fait savoir à Bruxelles en mai 2024.
L’argent public français doit-il servir à assurer le business plan d’une compagnie aérienne privée qui n’a pas brillé par ses bons résultats ces dernières années et qui refuse de publier ses comptes ? De plus CORSAIR semble utiliser de manière induedepuis plusieurs mois un 10ème avion dont elle n’est pas censée disposer. Cette utilisation « illégale » ( ?) lui a non seulement permis de redresser son activité et de rassurer les investisseurs, mais aussi d’envisager une extension de ses activités sur de nouvelles lignes africaines, développement qui ne serait pas possible sans ce 10ème avion. Ces perspectives positives, reposant sur une capacité que CORSAIR ne devrait pas avoir, font partie des arguments majeurs pour convaincre la Commission de valider la nouvelle mouture du plan de sauvetage soutenu par Bercy.
Le problème majeur de CORSAIR est que l’existence et la validation de ce 10ème avion constituent une modification substantielle du plan de sauvetage de 2020 validée par la France. Là où CORSAIR explique que le plan de 2020 a été seulement aménagé en fonction de la (mauvaise) conjoncture nouvelle, l’UE serait tout à fait légitime pour conclure qu’il s’agit en réalité d’un nouveau plan qui ne peut donc pas être validé au titre des règles de la concurrence européenne : pas plus d’un plan tous les 10 ans. L’équation est-elle insoluble pour CORSAIR : tricher et risquer de perdre les subventions qui lui permettent de survivre, ou ne pas tricher, se mettre dans le rouge et perdre tout intérêt à être sauvée aux yeux de la Commission. CORSAIR a fait son choix, pas sûr que la Commission Européenne le valide.
Cette histoire démontre surtout les méandres de toute économie administrée et sous la coupe des capitaux publics. Peut-être que si les subventions publiques étaient bannies en échange d’une baisse sensible des charges fiscales et sociales de toutes les entreprises, Corsair aurait survécu sans avoir à jongler avec les règles, ou qu’elle aurait déjà péri au profit des concurrents plus agiles.