La Belgique toujours sans gouvernement: anatomie d’une déliquescence

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Jan 31, 2025 - 10:22
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La Belgique toujours sans gouvernement: anatomie d’une déliquescence
Dernière minute ! Les négociateurs réunis pour former un nouveau gouvernement en Belgique ont jusqu’à aujourd’hui pour finaliser les tractations. Les discussions ont eu lieu toute la nuit, sans fumée blanche pour le moment. On ignore donc s’ils aboutiront ; à l’heure où nous publions ces lignes, le pays n’a toujours pas de gouvernement, huit mois après les élections •

Les Belges se sont rendus aux urnes le 9 juin 2024, délivrant un message clair : au nord du pays, les formations de la droite nationaliste (la Nieuw-Vlaams Alliantie – que l’on peut traduire par Alliance néo-flamande – et le Vlaams Belang – Intérêt flamand -) sont arrivés en tête, devant les partis du centre et de la gauche ; au sud du pays, après plusieurs décennies de mainmise socialiste sur la « chose publique », le centre et son voisin de centre-droit sont sortis vainqueurs ; pourtant, huit mois plus tard, le pays n’a toujours pas de gouvernement, dans l’indifférence générale, mais non sans honte. Mais, nous rassure-t-on, on est près du dénouement.

Chauffage en panne

La scène pourrait prêter à sourire : tandis qu’ils devaient se réunir une énième fois pour tenter d’accorder leurs violons, les responsables des partis supposés entrer au gouvernement, loin d’être des Stradivarius, ont dû revoir leur plan, car l’endroit choisi se trouvait confronté à une panne de… chauffage. On ne pourrait trouver meilleure allégorie du mal qui ronge la vie politique belge. L’élégant Château de Val Duchesse dont il est question, sis en bordure de forêt de Soignes, fut le lieu par excellence des négociations dans les années quatre-vingt-dix : à l’époque, le parti au centre de la vie politique s’affichait encore sous l’étiquette « démocrate-chrétienne », les socialistes n’étaient pas encore woke, les écologistes aimaient les fleurs et étaient loin d’être islamisés ; les ministres avaient encore un semblant de culture – en tout cas celle du pays – ; à la fin, tout se terminait par un compromis brinquebalant dit « à la Belge » et Jean-Luc Dehaene restait Premier ministre.

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Depuis les difficiles négociations entre partis flamands et francophones dans les années 2000, notamment sur les facilités accordées aux francophones dans certaines communes situées sur le territoire flamand, plus rien n’est vraiment comme avant, avec en point d’orgue le record du monde de la formation de gouvernement la plus longue, en 2011. À l’époque, il fallut la menace d’une agence de notation de dégrader la note de la Belgique pour que, soudainement, les négociateurs retrouvassent un semblant de raison.

Depuis, les mois suivant les élections ont donné lieu à d’affligeants spectacles au cours desquels le Roi dût nommer des informateurs, des formateurs, des médiateurs, des démineurs, des conciliateurs, des explorateurs, autant de vocables entrés dans le lexique politique du plat pays, pour dénouer des crises qui ont aggravé la fracture belge. Les raisons de la déliquescence sont multiples, en voici au moins trois, autres que l’existence de deux opinions publiques distinctes – l’une flamande, l’autre francophone.

La terreur intellectuelle que fait planer la gauche (politique, médiatique, syndicale…) a institutionnalisé le très antidémocratique principe du cordon sanitaire (à quand sa constitutionnalisation ?). Selon celui-ci, il est formellement interdit de discuter et a fortiori de s’allier avec l’ « extrême droite ». Même le très « sarkozyste » état-major de la N-VA s’y plie et préfère les socialistes francophones au Vlaams Belang, avec pour conséquence la mise en minorité politique des Flamands, pourtant démographiquement majoritaires dans le pays, et de la droite – au point que le MR de centre-droit signa le Pacte de Marrakech, au prix de la chute d’un gouvernement, et vota plus récemment le Pacte migratoire européen.

Grand malade européen

Quand il n’existe pas de vrai débat, faute d’opposition, l’époque est au mieux à la cristallisation des discussions, au pire à leur hystérisation, avec pour acteurs de série B (comme Belgique) des politiciens qui n’ont pas l’aura de leurs aînés : nains politiques qui débusquent l’extrême droite partout mais qui refusent de voir l’islamisme gangréner la société, épigones belges de Sandrine Rousseau dont l’horizon politique s’arrête aux arrêts de bus qu’il faut renommer, godillots qui insultent et excommunient à tout-va, responsables de partis de la majorité qui passent leur temps à critiquer le… gouvernement sur les réseaux sociaux. Quand on manque de culture, de civilité, de grandes ambitions, d’esprit collectif, il devient compliqué d’exercer le pouvoir en vue d’y accomplir de grandes choses : relance économique, défi de l’IA, intérêts géostratégiques, crise énergétique et pouvoir d’achat…

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Enfin, à force d’avoir « cramé la caisse » à coups de subsides généreusement accordés à des ASBL1 politisées ou en raison du train de vie dispendieux de l’État et de ses entités fédérées, imposé un vivre ensemble qui ne fonctionne pas, tout déconstruit jusqu’à la dernière pierre, les moyens financiers à disposition et la capacité à gérer une communauté d’individus qui se trouvent un destin commun sont forcément limitées. Pendant des années, les socialistes francophones et leurs alliés traditionnels ont augmenté la dette tout en vivant aux crochets des flamands – qui finiront bien par fermer le robinet -, ont poursuivi une politique d’immigration insensée et coûteuse, ont bafoué les droits démocratiques les plus élémentaires en muselant leurs adversaires et nivelé par le très très très bas l’enseignement – tel un symbole, des milliers de professeurs ont manifesté à Bruxelles lundi dernier : plutôt que de réclamer une école de qualité, ils se sont surtout illustrés par les dégradations et autres gestes déplacés dont ils ont été les auteurs. 

Ce portrait n’est malheureusement pas celui d’une république bananière ou d’une dictature lointaine, mais de la femme malade de l’Europe. À propos de la Belgique, il est souvent dit de façon un peu bêtasse que quiconque comprenait ce pays se l’était sans doute mal fait expliquer. C’est faux. En réalité, la Belgique est un millefeuille de niveaux de pouvoirs, de partis, de corps intermédiaires tout heureux de trouver dans la complexité une manière de ne pas à avoir à justifier leur bilan calamiteux.


  1. Association sans but lucratif ↩

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