Moix, plongeur de combat

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Fév 1, 2025 - 16:18
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Moix, plongeur de combat

Yann Moix revient avec une « histoire subaquatique du XXe siècle » en alexandrins.


Avec Yann Moix, il faut s’attendre à tout, mais dans la qualité et l’originalité. Pas question de s’endormir sur les lauriers de la renommée littéraire. Le lecteur doit être surpris, malmené parfois. Les dividendes du boursicoteur pépère de la littérature, très peu pour lui. Ici, il nous livre une traversée du XXème siècle, sous l’eau et en alexandrins, excusez du peu. Ce n’est pas Le Bateau ivre de l’éternel gamin turbulent, Rimbaud, avec le regret de « l’Europe aux anciens parapets », c’est direct une plongée parmi de drôles de poissons, un voyage en apnée – titre de l’ouvrage – qui oblige à s’ébrouer efficacement une fois retrouvée la terre ravagée par les multiples fléaux. C’est en quelque sorte une odyssée sous-marine. Le narrateur est accompagné de l’énigmatique Emmanuelle. Ils nagent en eaux troubles, se moquent de celles dites territoriales. Ça bouillonne en permanence, aucun temps mort, au milieu des millions de morts de l’Histoire d’un siècle qui a vu l’effacement de Dieu et la toute-puissance du diable, l’acmé étant la construction des camps d’extermination nazis. Le style de Moix, corseté par le bel alexandrin, prend de la vigueur et de l’allure. Ça tourbillonne, ça éclate, ça pense au bout de la rime jamais trop riche. Poète Moix, vos papiers ! Vous sentez de la tête. Le rythme ne faiblit jamais, avec orgie d’assonances et d’allitérations. On est emportés par ce livre fou, complètement à contre-courant d’une production littéraire qui exhale le poisson crevé.

« Réfugiez-vous dans votre musée imaginaire »

Bien sûr c’est une vision accélérée de l’histoire. Moix ne va pas jouer les profs de collège. On ne rabâche pas, on nage souple et efficace. Le narrateur évoque, mais de quelle façon, les grands événements, comme la Grande guerre, avec la figure de Péguy, un ami de Moix, on évoque 39-45, avec la Collaboration, le duo infernal Pétain/Laval, et tous les vendus au régime hitlérien. Il évoque la Shoah. Extrait de l’évocation de la déshumanisation : « D’un baraquement, dans la lumière/Verte, un squelette voûté, presque horizontal,/Marche, très hagard, dans le monde végétal ;/Il boite. Ses souliers lui font mal ; la pénombre/Cache son visage décharné, son œil sombre. » Puis c’est au tour d’Hiroshima, sans Duras que Moix déteste à cause de son passé collabo durant l’Occupation. C’est encore le débarquement en Normandie en compagnie du photographe Robert Capa. Détail : « Ses pellicules sont stockées – original – /Dans des préservatifs ; cette astuce présente/ L’intérêt de les garder au sec (…) » On croit revivre le débarquement salvateur avec explosions, giclures de sang et cervelles. Ses vers charrient la viande humaine. L’Indochine, l’Algérie, la balle prise par JFK, « le bouquet de fleurs de Jackie » filant vers le néant. Ça s’accélère, crawl, respiration, tension du muscle. On oublie que c’est de la poésie, on lit comme si c’était de la prose survitaminée. Au passage, Moix reprend son souffle avec le présent : « Cet État d’Israël qui vient enfin de naître,/L’État palestinien qu’on doit reconnaître (…) »

Le narrateur n’oublie pas quelques grandes figures du XXème siècle. Citons Sacha Guitry – que Moix révère – Sartre, Raymond Roussel, Simone Weil, et beaucoup d’autres encore parmi les merlus hébétés et les lachnolèmes siamois. Mention spéciale pour l’évocation de Soljenitsyne en taule. Il n’est plus rien alors, réduit à « une mouche de cabinet ». En taule, parce qu’il ne valide pas « cette fausse révolution par le bas. » On le bat parce qu’il a osé cracher sur la faucille et le marteau.

Comme le narrateur, on s’inquiète de devoir remonter à la surface pour retrouver la « société liquide », concept emprunté au sociologue Zygmunt Bauman. Peut-on échapper aux « dimanches d’été et leur horrible foule » ? Sourire, tant les calamités sont légion et autrement plus corrosives. Réponse : « un seul antidote est possible : l’art. » Réfugiez-vous dans votre musée imaginaire et jetez la clé à la mer.

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