Les enfants voient l’art différemment : ce que nous apprennent les dernières recherches d’« eye-tracking »
Dans de nombreux musées, les enfants doivent se contenter de notices conçues pour des adultes. Or ils ont leur propre façon d’appréhender l’art. Comment en tenir compte ?
Dans de nombreux musées, les enfants doivent se contenter de notices conçues pour des adultes. Or ils ont leur propre façon d’appréhender l’art. Comment en tenir compte pour les inciter à s’intéresser aux œuvres ?
Les adultes et les enfants ont des façons complètement différentes d’aborder l’art.
Lors de recherches au musée Van Gogh d’Amsterdam, nous avons constaté avec des collègues que, lorsque les adultes sont face à une œuvre, leur regard est orienté par les connaissances dont ils disposent déjà et par leurs attentes. Par exemple, devant Vue d’Auvers, de Van Gogh, ils peuvent être interpellés par le style très reconnaissable de ses coups de pinceau qu’ils vont associer à d’autres œuvres emblématiques de l’artiste.
Mais nous avons constaté que les enfants ont une autre approche. Libérés des cadres sociaux et culturels qui façonnent la perception des adultes, ils sont guidés par des stimuli tels que les couleurs vives ou les formes audacieuses. Par exemple, lorsqu’ils regardent Le Jardin de Daubigny, de Van Gogh, ils sont naturellement attirés par les roses rouges qui se détachent sur le fond vert.
Si beaucoup de musées ont lancé des activités interactives adaptées aux enfants, telles que des ateliers créatifs et des chasses au trésor, dans de nombreuses expositions encore, la médiation des informations se limite à des notices rédigées pour des visiteurs adultes.
Dans une étude récente des collègues et moi avons utilisé une technologie de suivi des mouvements oculaires pour étudier comment les informations transmises aux enfants sur des œuvres influençaient la façon dont ils les voyaient.
L’étude a été réalisée au Rijksmuseum d’Amsterdam et s’est concentrée sur trois peintures du XVIIe siècle : Le Banquet de la garde civique, de Bartholomeus van der Helst, la Nature morte au banquet, d’Adriaen van Utrecht et le Paysage d’hiver avec patineurs, de Hendrick Avercamp.
Nous avons comparé la réaction d’enfants de 10 à 12 ans dans trois situations : face à des cartels destinés aux adultes déjà en place dans le musée, devant des notices de contes ludiques adaptées aux enfants et en absence totale d’informations. Nous avons produit des cartes thermiques pour visualiser où les enfants concentraient leur attention.
Apprendre à lire un tableau
Les résultats sont frappants. Les enfants à qui l’on avait fourni des notices qui leur étaient destinées se sont intéressés aux œuvres d’art d’une manière que nous n’avons pas du tout observée chez ceux qui avaient lu les cartels conçus pour des adultes. Ils ont dirigé leur regard vers les éléments clés des tableaux mis en évidence par les descriptions ludiques et ont passé plus de temps à les examiner.
En revanche, les enfants qui ont reçu des explications ciblant les adultes se sont comportés comme les enfants qui n’ont reçu aucune information. Leur attention était dispersée et non focalisée.
Pour le tableau d’Avercamp datant de 1608, la description destinée aux adultes est la suivante :
« Le poste d’observation élevé de cette peinture donne une vue d’ensemble de l’activité humaine – et animale – au cours d’un hiver rigoureux. Des centaines de personnes sont sur la glace, la plupart pour le plaisir, d’autres par nécessité. Avercamp n’a pas hésité à donner des détails sinistres : au premier plan à gauche, des corbeaux et un chien se régalent de la carcasse d’un cheval mort de froid. »
Notre carte thermique montre que le regard des enfants parcourt le tableau sans s’y attarder :
Ce résultat est similaire à celui de la carte thermique obtenue lorsque les enfants n’avaient reçu aucune information pour les guider :
Mais les résultats sont différents lorsque les enfants reçoivent des informations qui leur sont adressées. Pour ce tableau, on pouvait lire :
« Il aurait pu me peindre n’importe où, mais où suis-je ? En plein milieu du tableau, le museau sur la glace ! L’endroit où tout le monde peut me voir. Un homme en pantalon bleu manque de trébucher sur moi. Deux filles à côté de moi rient de ma maladresse. Mais je n’abandonne pas. Je me remets debout et je continue. Avant la fin de l’hiver, je patinerai comme une pro ! »
La description a modifié l’interaction des enfants avec le tableau. Ils se sont intéressés de plus près à l’œuvre et se sont concentrés pour identifier la figure décrite dans les informations qui leur ont été fournies.
Privilégier une approche ludique
« Nous voulons être un musée pour tous, et donc raconter des histoires accessibles à tous », a noté Pauline Kintz du service des publics du Rijksmuseum, commentant l’importance de nos résultats.
Ces constats invitent à repenser la manière dont sont conçues les notices dans les musées, en particulier pour les jeunes publics. Des descriptions adaptées pourraient transformer la manière dont les enfants vont découvrir l’art.
Les implications pour les écoles sont tout aussi considérables. Notre recherche offre un argument fort pour repenser l’éducation artistique. En explorant et en adoptant de nouvelles approches, les écoles peuvent rendre les cours d’art plus attrayants et pertinents.
Les cours pourraient adopter des méthodes similaires à celles du Rijksmuseum afin d’impliquer activement les étudiants et de renforcer leur lien avec l’art.
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Nous savons que les approches traditionnelles, de la lecture de manuels aux cours magistraux, ne facilitent pas l’accès des jeunes à l’art.
Mais les leçons pourraient intégrer des récits pour présenter des artistes et des mouvements historiques d’une manière qui résonne avec les expériences et les intérêts quotidiens des enfants. L’exploration guidée pourrait encourager les élèves à identifier et à discuter des éléments spécifiques d’une œuvre d’art, à l’instar des descriptions sur mesure de notre étude.
Comme le montrent nos résultats, comprendre et respecter la façon dont les enfants perçoivent le monde – y compris la façon dont ils appréhendent l’art – peut ouvrir de nouvelles portes à l’enseignement et à l’apprentissage.
Cette recherche a été menée en partenariat avec VU Amsterdam, Attention Architects et l'Université de Colombie Britannique.