Aidants : les salariés premiers concernés
En 2030, un salarié sur quatre sera aidant. Longtemps invisibilisée, la question de l’aidance s’invite aujourd’hui au cœur de l’entreprise.
En 2030, un salarié sur quatre sera aidant. Longtemps invisibilisée, la question de l’aidance s’invite aujourd’hui au cœur de l’entreprise.
Il y a 9,3 millions d’aidants en France, selon une étude de la DREES. On pourrait même considérer que tous les Français sont concernés ou le seront. Longtemps invisibilisés, les aidants deviennent peu à peu un nouveau public à accompagner pour les politiques publiques. La loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement les reconnait : « les aidants, les familles ou les proches, qui sont souvent le pivot du soutien à domicile, doivent être mieux reconnus et mieux soutenus ».
L’émergence de la figure de l’aidant est un révélateur des transformations de nos sociétés au croisement des sphères domestique, publique et économique. Elle tient principalement aux mutations démographiques, qu’elles concernent l’allongement de la durée de vie, les recompositions familiales ou la reconnaissance du travail des femmes. Donnée utile : les aidants sont des femmes à 56 %.
Aide à un proche
En première approche, retenons la définition de la Confédération des organisations familiales de l’Union européenne. Un aidant familial ou proche aidant est « une personne non professionnelle qui vient en aide à titre principal, pour partie ou totalement, à une personne de son entourage qui a des besoins d’aide/de soutien. Cette aide/soutien peut être assurée de façon permanente ou temporaire et peut prendre diverses formes : soins, accompagnement à l’éducation et à la vie sociale, formalités administratives, déplacements, coordination, soutien psychologique et vigilance permanente (en cas de handicap psychique) ou activités domestiques ».
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Encore faut-il décentrer le regard du seul aidant pour s’intéresser à l’aidance. Jean Bouisson et Valérie Bergua présentent ce lien social particulier comme « celui qui aide, celui qui est aidé, le lien qui les unit ». L’aidance couvre ainsi la diversité des solidarités, des liens interpersonnels jusqu’à l’organisation de l’action sociale. L’ouvrage Aidons les aidants, osons l’Aidance ! analyse les différentes étapes de l’aidance :
L’anté-aidance, où on anticipe et pressent une situation d’aidance.
L’aidance spécialisée, au cours de laquelle un aidant s’occupe d’un proche malade, en situation de handicap, fragile ou dépendant.
La post-aidance, lorsque le lien aidant-aidé est rompu – décès, placement dans une institution –, mais qu’on en porte les conséquences psychologiques.
L’inter-aidance spécialisée, où lors de phases de rémission voire de guérison, on s’interroge sur le risque de rechute et le maintien du statut d’aidant.
8,6 h/semaine en moyenne
Ce nouveau fait social concerne au premier plan les entreprises. Une étude de l’observatoire OCIRP annonce qu’un salarié sur quatre sera proche aidant en 2030. Contre les idées reçues, on note que l’âge moyen des aidants est de 42 ans, tandis leur âge moyen d’entrée dans l’aidance est de 33 ans. Cette aide est d’abord apportée aux parents suite à une perte d’autonomie due au grand âge.
On estime que le temps consacré à l’aide est de 8,6 heures par semaine, soit une journée de travail. Il peut y avoir d’importantes variations selon le genre et l’âge des aidants – les femmes et les personnes de plus de 50 ans donnent plus de temps – ou le profil des aidés – les enfants porteurs de handicaps nécessitent plus de temps. Dans ces conditions, il n’est pas possible de « laisser ses soucis au vestiaire ». Cela vient impacter le travail. 30 % des actifs se sentent mis en difficulté professionnelle par leur situation, tandis que 44 % considèrent que leurs employeurs les accompagnent mal.
Surtout, les aidants eux-mêmes ne déclarent pas le plus souvent leur situation. Soit parce qu’ils ne l’ont pas conscientisée. Soit parce qu’ils considèrent que cela relève de la vie privée ou qu’ils craignent pour leur carrière. Un tabou entoure ainsi cette situation qui concerne pourtant un nombre significatif de salariés.
Le triptyque « sensibilisation-détection-action »
Face à ce constat, nous avons ouvert un chantier de travail qui participe à la responsabilité territoriale des entreprises. Les difficultés des salariés aidants ne sont pas qu’une problématique managériale, pas plus qu’elles ne se réduisent à la sphère domestique. Si les dispositifs se multiplient, il ne suffit pas de les empiler. Il faut les inscrire dans des démarches collectives qui permettent de lutter efficacement contre le non-recours. Autrement dit, il s’agit de faire coopérer les acteurs de l’entreprise, les collectivités locales et le secteur médico-social pour prévenir et accompagner les situations d’aidance.
Nous nous sommes en particulier inspirés au dispositif DomCare Aidance, Dépendance, Autonomie de la Maison de Santé protestante de Bordeaux-Bagatelle. Son directeur Olivier Frézet a mené une expérimentation à destination des salariés aidants de son institution pour leur permettre de concilier leur vie professionnelle, leur vie familiale et leurs difficultés d’aidants. Il s’est appuyé sur un technicien coordinateur de l’aide psychosociale aux aidants, extérieur à la structure. Ce dernier a évalué les besoins des aidants, les informer des dispositifs existants, soutenir et accompagner la dyade aidant-aidé et assurer un suivi régulier.
Suite au succès de cette expérimentation, qui a recueilli 100 % de satisfaction de la part des 39 salariés ainsi accompagnés, il propose aujourd’hui une méthode articulée autour du triptyque « sensibilisation – détection – action ».
Sensibilisation : impulser une dynamique au sein de l’entreprise pour sensibiliser à la question de l’aidance et changer les représentations.
Détection : identifier au plus vite les situations et prévenir les difficultés.
Actions : répondre au besoin des personnes à travers des accompagnements adaptés, qui vont de l’organisation du travail et du temps de travail au soutien psychologique en passant par les différents dispositifs d’aide.
L’aidance est un nouveau besoin social et un problème public. Il doit donc sortir des limites de l’entreprise. Mieux, elle doit conduire à une recomposition des rapports public/privé. L’entreprise ne peut pas tout. Elle doit non seulement coopérer avec les autres acteurs du territoire, mais aussi ouvrir ses portes aux organisations médico-sociales qui peuvent mettre en œuvre les accompagnements nécessaires.
Timothée Duverger ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.