Penser le luxe de demain : quelles perspectives pour 2025 et au-delà ?
2025 s’entame à peine, et en ce nouveau quart de siècle, le secteur du luxe, bien que séculaire, conserve sa position à l’avant-garde de l’innovation et de la créativité. Pourtant,... L’article Penser le luxe de demain : quelles perspectives pour 2025 et au-delà ? est apparu en premier sur JUPDLC.
2025 s’entame à peine, et en ce nouveau quart de siècle, le secteur du luxe, bien que séculaire, conserve sa position à l’avant-garde de l’innovation et de la créativité. Pourtant, son avenir s’annonce tumultueux. Face à des consommateurs de plus en plus experts et exigeants, à la prolifération des dupes et à l’impératif d’une transition durable, les grandes maisons se voient contraintes de repenser en profondeur la définition même du luxe, et de sa valeur.
Pour la deuxième année consécutive, l’agence MNSTR livre une analyse prospective du secteur dans son Annual Luxury Trend Report. Pour approfondir ces réflexions, nous avons rencontré Martin Friedrich, Planneur Stratégique, et Louis Bonichon, Directeur de la Création de l’agence. Des mutations en cours aux signaux faibles, en passant par les dernières innovations et trouvailles créatives, leur éclairage dépasse les frontières du luxe et esquisse les grandes tendances du storytelling de demain.
JUPDLC : C’est la deuxième année que MNSTR publie son carnet de tendances luxe. Qu’est-ce qui a motivé cette démarche et comment avez-vous construit cette nouvelle édition ?
Martin Friedrich et Louis Bonichon : Nous sommes fascinés par les mutations et les nouvelles façons de communiquer et de raconter des histoires. Le luxe partage cette fascination, car il doit sans cesse réinventer sa communication pour rester pertinent.
Nous avons créé un bureau de prospective à l’agence, baptisé monstre 3030, dédié à l’analyse des tendances futures (usages, technologies, sujets sociaux). Ce carnet de tendances est une extension de cette démarche, un moyen de partager nos explorations avec les marques et maisons que nous accompagnons, et souvent, il inspire des projets ou campagnes.
JUPDLC : On parle beaucoup de transformation du luxe. Comment définiriez-vous le luxe en 2025 et quelles sont les principales ruptures avec sa définition traditionnelle ?
Martin Friedrich et Louis Bonichon : Il y a une perte totale de repères qui s’opère dans le secteur du luxe. La recomposition de ses manières de fonctionner nous a interrogés : l’exclusivité, l’expertise, le statut, le prix, le savoir-faire, etc. sont autant de signaux qui sont remis en question et que les marques doivent réinventer :
- Dans leur manière de produire et de distribuer leurs contenus pour exister dans les conversations, face à des audiences devenues expertes.
- Dans leur manière d’exister dans un monde de dupes – non pas à travers des batailles judiciaires, mais à travers des prises de paroles rupturistes et audacieuses pour faire valoir leur créativité.
- Dans l’injonction à réinventer – déjà, les manières dont elles actionnent les dernières innovations (gaming, gen-AI, technologies de VR) pour se raconter.
C’est justement parce qu’il est en constante réinvention que le luxe est un lieu d’observation privilégié pour nos métiers.
JUPDLC : Vous évoquez une désacralisation du luxe. Comment se manifeste-t-elle et qu’est-ce que cela implique pour les marques ?
Martin Friedrich et Louis Bonichon : Plusieurs choses président à cette désacralisation, menée notamment par la GEN Z. D’abord, les audiences férues de luxe sont devenues expertes : nourries de tout un tas de contenus qui font tomber les derniers secrets de l’industrie, elles sont aujourd’hui capables de donner un avis éclairé (et critique !) sur le dernier défilé ou le dernier produit d’une marque. La désacralisation commence donc ici, par une légitimation des discours d’outsiders qui continuent de challenger les gardiens du temple.
Parallèlement, cette désacralisation se manifeste par un mouvement d’hyper-personnalisation maximaliste (que certains qualifient même de chaotique). Autrement dit, cette pulsion de customiser ses accessoires de modes : du sac à main à sa montre de luxe en passant par ses lunettes ou ses chaussures, pour exprimer sa personnalité d’une manière plus tapageuse qu’auparavant. Cela nous donne des indications sur la place qu’on accorde à la vision d’un designer : un sac à plusieurs milliers d’euros, fruit de la créativité des plus grands créateurs, peut désormais être agrémenté de ces charms (breloques un peu cheap), reflet de la personnalité de son porteur. Le designer n’est plus le seul maître à bord, et par conséquent désacraliser revient aussi à partager le crédit, prendre part à une même conversation.
Enfin, et c’est peut-être le cas le plus flagrant, la désacralisation se manifeste le plus clairement à travers les dupes et désormais les pingti, terme mandarin qui désigne une contrefaçon de grande qualité, qui n’a rien à envier au vrai modèle si ce n’est son logo. Les dupes n’ont rien de nouveau, mais c’est leur ubiquité et la décomplexion qu’on observe aujourd’hui qui constitue une nouvelle donne. La GEN Z ne voit plus dans le dupe une honte, mais une forme d’intelligence, d’espièglerie à trouver la meilleure affaire pour participer aux tendances du luxe du moment sans se ruiner. C’est justement de cette espièglerie que doivent s’emparer les marques pour battre les dupes à leur propre jeu, et ce même si ça les fait tomber un peu plus de leur piédestal. If you can’t fight it, embrace it ! (NDLR : Si vous ne pouvez pas le combattre, acceptez-le !).
JUPDLC : Dans un marché où les « dupes » et copies sont de plus en plus accessibles, comment les marques peuvent-elles maintenir leur désirabilité ?
Martin Friedrich et Louis Bonichon : Les marques qui ont su trouver les réponses les plus pertinentes face aux dupes ne l’ont pas fait devant un tribunal, mais bien au cœur des conversations que génèrent ces dupes et dont elles ne doivent pas se soustraire.
On dit parfois que l’imitation est la plus haute forme de flatterie. Pour autant, les marques de luxe ont beaucoup de mal à l’entendre, justement parce qu’elles perçoivent souvent d’un mauvais œil cette espièglerie qui anime les « dupers ». Il faut sortir du milieu du luxe à proprement parler pour le comprendre. Le collectif MSCHF s’amuse depuis un moment maintenant à questionner notre rapport à l’exclusivité, au luxe, à la valeur. À travers leur dernière opération « Global Supply Chain Telephone Bag », ces créateurs ont créé un sac « Frankenstein » à partir des dupes des sacs les plus populaires. Une manière absurde, mais riche de sens, de se moquer de l’économie des dupes et d’emprunter un peu de sa légèreté.
Certains créateurs et créatrices ont su le percevoir. Lorsque Simon Porte Jacquemus découvre des photos de ses shootings vendus sur les quais de Seine au milieu d’autres icônes parisiennes, il comprend bien que sa marque s’est intégrée à une sorte d’inconscient collectif. Une marque dupée reste en quelque sorte au contact de la culture du moment : le fameux « zeitgeist », et donne à voir l’évolution d’une marque dans un monde où tous les croisements, tous les gestes créatifs sont autorisés.
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JUPDLC : Dans votre précédent rapport, vous souligniez l’impact du digital et de l’IA. Un an après, quelles innovations vous semblent les plus prometteuses pour transformer le secteur du luxe ?
Martin Friedrich et Louis Bonichon : Nous avons passé le pic de la hype de l’IA générative. Elle continue de se perfectionner bien sûr, mais ce faisant, elle devient presque imperceptible, invisible et se fond dans les processus créatifs d’une nouvelle génération de créateurs et créatrices de talent.
Un signal faible a pourtant attiré notre attention. Avec le perfectionnement des LLM (Large Langage Models), l’IA est désormais en mesure de créer par le langage un rapport beaucoup plus empathique et intime avec ses utilisateurs. Plus qu’une assistante, elle devient une confidente, une amie, une amoureuse, une psychologue ou encore une guide spirituelle. Ce nouveau rapport, contre-intuitif à première vue, mais vérifié dans les pratiques, ouvre pour les marques un nouveau canal d’expression et de storytelling prometteur.
JUPDLC : Au-delà des canaux traditionnels, quels sont les nouveaux territoires d’expression pour les marques de luxe ?
Martin Friedrich et Louis Bonichon : Nous pensons qu’il y a un nouveau canal à investir avec les LLM. Un mode communication plus conversationnel. Aujourd’hui, nous interagissons avec les marques et les maisons en commentant, likant, relayant des prises de parole. Mais il semble de plus en plus vraisemblable que l’on puisse véritablement converser avec une maison ou une marque par le biais de ces nouveaux bots de plus en plus empathiques dopés aux LLM.
Parallèlement, face à cette digitalisation, les canaux les plus traditionnels, comme le retail, ont encore des émotions puissantes à nous faire vivre. Il existe de nouvelles expériences à inventer dans les boutiques pour pallier les manques de l’e-commerce (difficile de faire l’expérience d’un parfum à 400 € en ligne). Au-delà de sa mission purement transactionnelle, il nous faut réinventer des cocons plus immersifs, des expériences plus sensorielles, synesthésiques même ! C’est dans cette optique que nous avons accompagné Guerlain avec les « Olfactive Landscapes », qui reconstruisaient, grâce à l’IA et la VR, des paysages propres à chaque parfum sur la base des mots de la parfumeuse Delphine Jelk.
Ensuite, nous avons voulu repenser l’association du gaming et des marques de luxe. Jusque-là, elle servait surtout à séduire les jeunes générations, les plus grosses marques s’alliant aux plus grosses licences. Mais nous nous sommes particulièrement intéressés au cosy gaming qui, comme son nom l’indique, met l’accent sur l’exploration paisible, la socialisation et la customisation plutôt que sur la compétition intense. Cette nouvelle donne permet d’adresser les questions de bien-être que nos consommateurs appellent de leurs vœux, et pourquoi pas d’envisager le gaming comme l’une des composantes du bien-être ?
Et plus globalement, on pense que les territoires d’expression deviendront demain sans limite. À l’heure où chacun peut se revendiquer de n’importe quelle niche d’internet et où il n’existe plus aucun mariage contre-nature, nous faisons le pari de voir la remix culture nous offrir des associations inédites, voire incongrues : Prada crée aujourd’hui des combinaisons spatiales, Porsche des machines à café, Moncler des 4×4 Mercedes en édition limitée. La dissonance cognitive et la friction qui émanent de ces exemples nous laissent penser qu’elles sont en passe de devenir de nouveaux moteurs de la créativité, comme une manière de court-circuiter notre attention et de recréer de la désirabilité.
JUPDLC : Le développement durable est-il devenu un impératif stratégique pour les marques de luxe ? Comment s’articule-t-il avec les codes traditionnels du secteur ?
Martin Friedrich et Louis Bonichon : On semble plus que jamais se rendre compte que ce qui fait le luxe, et ça c’est un invariable du secteur, c’est sa connexion profonde à la nature. C’est de là que vient la rareté, la fragilité parfois, et donc toute la valeur que proposent les maisons (les fleurs pour une maison de parfumerie, les vignes pour le champagne ou le cognac, les abeilles pour les cosmétiques). De grandes avancées ont eu lieu ces quelques dernières années dans les plus grands groupes. Seulement, les maisons doivent maintenant dépasser le stade de l’engagement et du jargon très corporate qui ne permet pas à leurs prises de parole d’être audibles aux oreilles de leurs consommateurs.
Charge aux marques (et les agences qui les accompagnent) de révéler ces engagements à travers des expériences, des discours bien plus aspirationnels et audibles. La technologie peut nous aider à le révéler de manière transparente, pédagogique et créative.
JUPDLC : Plus largement, au-delà du luxe, comment voyez-vous évoluer les narratifs des marques face à la fragmentation des audiences et des canaux de communication ?
Martin Friedrich et Louis Bonichon : Plus personne ne fait l’expérience d’une marque de manière monolithique : à partir des éléments glanés çà et là au cours de leur digital journey, chacun va recomposer sa perception de la marque comme une « mosaïque de touchpoints ». Cela commence par les éléments les plus tangibles (les produits de la dernière collection) jusqu’aux plus diffus (l’infiltration discrète dans la pop culture), la marque est désormais ressentie comme une aura, de manière beaucoup plus émotionnelle et diffuse qu’auparavant. Quelque chose de profondément humain, difficile à mesurer par de l’écoute sociale ou du monitoring automatisé.
Ç’a évidemment un impact sur la manière dont les marques pensent, conçoivent et délivrent leurs contenus. Il n’y a plus de parent pauvre dans la création de contenus : les capsules, autrefois réduites au terme de « snacking content », sont aujourd’hui investies de nouvelles ambitions narratives et créatives. À l’autre extrémité de ce spectre, les maisons se découvrent des ambitions hors normes vers du contenu XXL (biopic Hollywoodien, documentaires premium, séries à gros budgets) et internalisent cette production pour maîtriser entièrement cette nouvelle arme de leur storytelling. Un nouveau spectre de contenus prometteur pour les années à venir et dont le luxe s’est fait le fer de lance.
Pour en savoir plus sur l’agence MNSTR, rendez-vous sur leur page dédiée !
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