“Nosferatu” de Robert Eggers, un remake nécessaire ?
Sorti le 25 décembre dernier sur les écrans français, le très attendu Nosferatu de Robert Eggers est la troisième et dernière itération en date du mythe d’Orlok, après celui de Murnau en 1922, et la version de Herzog en 1979.
Sorti le 25 décembre dernier sur les écrans français, le très attendu Nosferatu de Robert Eggers est la troisième et dernière itération en date du mythe d’Orlok, après celui de Murnau en 1922, et la version de Herzog en 1979. L’occasion pour nous de retourner aux origines de cette fable expressionniste qui aura inspiré des générations de cinéastes à travers le monde.
Aux origines du comte
C’est en 1922, et en pleine période de l’entre deux-guerres, que sort la version originale de Nosferatu, le vampire, librement adaptée du Dracula de Bram Stoker, et réalisée par Friedrich Wilhelm Murnau. Considéré comme un des pionniers de l’expressionnisme allemand, un mouvement cinématographique qui utilise la distorsion des objets, des corps, et des visages comme l’expression d’un dérangement ou d’un désordre chez l’individu, Murnau accouche ici d’un film fleuve, dont l’influence s’étendra tant dans le monde du cinéma (les films de Tim Burton), que dans le milieu de l’Art en général (les surréalistes sacreront le film de chef d’oeuvre des années plus tard).
Si le films fait rapidement des émules, ses producteurs sont également attaqués en justice à sa sortie. Et c’est Florence Stoker, la veuve de l’auteur du roman Dracula, qui gagne le procès pour plagiat. Malgré les remaniements scénaristiques pour tenter de s’éloigner du récit original (le comte est rebaptisé Orlok, le film est re-situé entre l’Allemagne et les Carpates, et une conclusion différente du roman est rédigée dans le script), le manque de budget aura fait défaut à Prana Film, qui n’aura pu acquérir les droits d’exploitation, et se verra contrainte de détruire l’ensemble des copies. Heureusement pour la postérité, des pellicules cachées seront conservées par delà le monde, et ressurgiront des années plus tard. En 1984, le film est restauré intégralement et diffusé à travers le monde, et bénéficie du statut d’oeuvre culte pour bon nombres d’auteurs contemporains.
Une relecture romantique en 1979
Si le premier film est une adaptation à peine masquée du Dracula de Stoker, Nosferatu fantôme de la nuit de Werner Herzog est un hommage direct au film de Murnau. S’inspirant de la figure longiligne et angulaire de l’acteur Max Schreck, qui avait prêté ses traits au vampire dans le premier film, Herzog collabore ici avec le comédien Klaus Kinski, afin d’accoucher d’une relecture plus romantique du film d’origine. La relation entre la principale victime de Nosferatu (jouée par Isabelle Adjani), et le vampire, est ici davantage traitée de manière sensuelle, et au fur et à mesure que le film avance, le lien entre prédation et désir n’a de cesse de se resserrer, et ce jusqu’au sacrifice final.
Contrairement au classique de 1922, le cinéaste allemand pose ici un regard empathique sur la créature, qu’il perçoit davantage comme victime de sa malédiction, et dépourvue de libre-arbitre. Un être que l’immortalité a condamné à la solitude éternelle, et qui demeure marginalisé par sa condition de vampire. Mais aussi et surtout, un homme qui ne s’est jamais remis de la perte de son amour passé. Cette dualité intrinsèque à la figure du vampire, entre désir sanguinaire et sexuelle, trouve ici l’une de ses plus parfaites incarnations, et permet au film d’éviter trop de redondances avec l’original, justifiant ainsi pleinement l’existence de ce remake.
2024, un remake nécessaire ?
En 2024, et plus de cent ans après le Nosferatu expressionniste de Murnau, le cinéaste américain Robert Eggers nous dévoile sa vision de l’illustre vampire Transylvanien. Le comte Orlok, ici interprété par Bill Skarsgård, impose une silhouette massive et spectrale, et on retrouve dans cette relecture l’univers crépusculaire et gothique de l’original. Eggers, metteur en scène du folklore et du paganisme, excelle dans la création d’une ambiance fantastique, propice à l’émergence du monstre dés le premier tiers du film. Que ce soit pour les rites païens pour éloigner la bête, ou dans ce voyage au coeur des forêts enneigées des Carpates, peuplées de loup et d’une présence non moins sinistre, rien n’est laissé au hasard pour faire naître la peur. D’abord rumeur, le mythe se fait réalité lorsque le clerc de notaire Thomas Hutter (Nicholas Hoult dans le film) rencontre le comte dans sa demeure sépulcrale. Tandis qu’Ellen, la compagne de Thomas (interprétée par Lily-Rose Depp), est restée à Wisbord, une petite cité portuaire allemande, elle est victime de bouffées délirantes. Sorte de terreur nocturne, elle perçoit durant ces nuits éprouvantes la présence du comte auprès d’elle, évènement qui s’était déjà produit des années plutôt. Et lorsqu’Orlok entreprend de quitter sa terre natale pour s’établir à ses côtés, le jeune clerc s’échappe alors du château pour se lancer à la poursuite du vampire, afin de sauver la femme qu’il aime, et stopper la terreur qui s’abat sur la ville.
Si l’on peut louer ici les élans horrifiques propices à faire naître la peur chez le spectateur (les scènes de « possessions » sont interprétées de manière très spectaculaire par Lily-Rose, et permettent à la bête de « s’incarner » en elle de manière plus viscérale), le jeu est parfois trop théâtrale pour être pris au sérieux, surtout durant la première moitié du film. Aussi selon nous, Aaron Taylor-Johnson et Nicholas Hoult sont quelque peu éclipsés par les prestations du Willem Dafoe, de Lily-Rose Depp et de Bill Skarsgård. Quant au rythme global, le film souffre d’un montage un peu trop incisif, et il n’est pas rare qu’on soit pris de cours dans la contemplation d’une scène par une coupe hâtive. À grand renforts d’effets sonores criards, le réalisateur ne laisse pas ses plans respirer, et le film aurait mérité plus de silence et de pesanteur.
Mais la grand force du film réside dans la relation entre le comte et Ellen, tant les deux êtres semblent liés par une sorte de pacte faustien, qu’elle est la seule à pouvoir régler. Et c’est dans ce lâcher prise final, dans le dernier acte du film, que se joue le vrai propos de cette relecture. Comment faire fie de son côté obscur, si ce n’est en devenant le monstre aux yeux du Monde, et en embrassant par la même nos propres stigmates. Dans un dénouement sublime, porté par un thème musical désespérément romantique, Ellen accepte de se donner au comte dans l’étreinte, épousant ses peurs à l’aube d’un nouveau jour, mettant fin par la même occasion au règne de la Bête, et sauvant la ville de la domination du Mal.
Un film à voir ?
Si le film pâti selon nous d’un style théâtrale pas toujours bien jaugé, cette nouvelle version a le mérite d’être suffisamment terrifiante et spectaculaire pour captiver les spectateurs et les spectatrices. Les adeptes de Robert Eggers y reconnaîtront son obsession pour le paganisme, les décors filmés en lumière naturelle, et aussi une certaine lecture Freudienne du récit originale. À la croisée de l’occultisme et de la psychanalyse, on recommande ce film davantage aux amateurs de vampires et de récits horrifiques. Dans un écrin de paysages embrumés, de cimetières gothiques, et de mers démontées, ce Nosferatu offre un voyage à la croisée de la psychée humaine et du conte populaire, dans la droite lignée des oeuvres de son cinéaste.
Pour prolonger l’expérience, voir notre article sur Robert Eggers.