Mode : les consommateurs seniors encore loin de l’inclusion

Le secteur de la mode ignore encore trop les hommes et les femmes de plus de 60 ans. Cela a des conséquences négatives sur leur estime de soi.

Fév 5, 2025 - 01:34
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Mode : les consommateurs seniors encore loin de l’inclusion

Le secteur de la mode ignore encore trop les hommes et les femmes de plus de 60 ans, alors même qu’ils représentent une part croissance de la population. Cela a des conséquences négatives sur leur estime de soi.


Le vieillissement démographique est devenu un phénomène social majeur dans de nombreux pays développés, alimenté par les progrès médicaux, l’amélioration des soins de santé et des conditions de vie, qui ont permis d’allonger l’espérance de vie par rapport aux générations précédentes. Cette tendance devrait s’intensifier dans les années à venir.

Selon la Sécurité sociale, les personnes de plus de 60 ans représentent actuellement plus d’un quart de la population en France ; d’ici à 2050, la part des individus âgés de 75 ans et plus devrait atteindre 16,4 %, égalant celle des 60-74 ans. Cependant, malgré cette évolution démographique, on observe une augmentation notable de l’âgisme au sein des sociétés.

L’âgisme se définit comme des préjugés, des opinions négatives, des attitudes et des discriminations liés à l’âge. Il peut se manifester de diverses manières et toucher des personnes de tous âges, bien qu’il soit particulièrement perceptible dans le traitement réservé aux personnes âgées.

Le rôle des médias

Les médias jouent un rôle central dans la perpétuation de l’âgisme en sous-représentant les personnes âgées ou en les dépeignant à travers des stéréotypes réducteurs, les présentant souvent comme fragiles, dépendantes ou inaptes technologiquement ; par exemple la publicité de Go Sport, Virgin Radio… Ces représentations renforcent les préjugés sociétaux et affectent à la fois la perception de soi des individus âgés et les valeurs de la société (Eisend, 2022).


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Ce phénomène est particulièrement marqué dans les médias de l’industrie de la mode occidentale. En effet, un « idéal de jeunesse » construit par l’absence de diversité en termes d’âge dans la publicité transmet un message implicite selon lequel le vieillissement visible est peu attrayant. Les publicités pour les crèmes anti-âge en sont un exemple éloquent : elles présentent le vieillissement comme un processus à éviter. Alors que les recherches ont largement exploré l’impact psychologique de la représentation des jeunes consommateurs dans les médias de mode, les expériences et perceptions des adultes plus âgés restent insuffisamment étudiées.

Une invisibilité inquiétante

Une de nos études récentes s’est penchée sur la représentation des personnes âgées dans trois magazines britanniques : Cosmopolitan UK, Elle UK et Marie Claire UK (note : cette étude a été réalisée en Grande-Bretagne). Parmi les douze numéros publiés en 2018, seulement 5,47 % des images représentaient des mannequins âgés de 60 ans ou plus. Les personnes âgées apparaissaient principalement dans des articles plutôt que dans des publicités de mode ou de soins anti-âge, et étaient majoritairement des figures connues telles que des designers, des photographes ou des auteurs renommés.

Ces mannequins âgés partageaient des caractéristiques similaires : femmes caucasiennes, cheveux gris ou blancs, et silhouette mince. Cette uniformité reflète une vision stéréotypée, qui néglige la diversité et la complexité des personnes âgées. Ce manque de pluralité alimente un sentiment d’exclusion chez les consommateurs seniors.

Frustration devant la publicité

Notre étude révèle que les personnes âgées ressentent un profond décalage avec les normes véhiculées par les médias de mode. Sur un échantillon de 31 participants âgés de 60 à 80 ans, plusieurs ont exprimé leur frustration face à des publicités qu’ils jugent irréalistes et stigmatisantes.

Une participante témoigne :

« Les publicités se concentrent sur des jeunes minces, souvent hors de portée de la personne moyenne. »

Les participants ont exprimé une insatisfaction notable face au manque de diversité et de réalisme dans les médias de la mode, appelant les marques à « célébrer tout le monde », c’est-à-dire de mieux refléter la diversité réelle de la société en termes d’âge, d’ethnicité et de taille corporelle. Les participants ont également souligné un besoin d’authenticité, suggérant que la mode utilise des « gens ordinaires » plutôt que des personnes connues.

Mode et mésestime de soi

Cette étude a également révélé l’impact psychologique de cette invisibilité dans les médias : les consommateurs plus âgés sont moins impliqués dans la mode, ont une estime corporelle et de soi plus faible, et une image corporelle plus négative, surtout pour ceux qui se perçoivent ou paraissent plus âgés. Cela contraste avec les jeunes consommateurs, pour qui la mode est étroitement liée à l’estime de soi.

L’étude a également souligné que, bien que les consommateurs âgés soient conscients des pressions sociales, ils tendent à croire que les jeunes sont plus affectés par les normes de beauté véhiculées par la mode. Ce déni peut être expliqué par la théorie de l’identité sociale qui suggère que les individus plus âgés peuvent rehausser l’image de leur groupe, en croyant être moins influencés par les idéaux de beauté sociétaux.

Réinventer la mode, réinventer nos valeurs

Plusieurs travaux de recherche soulignent la nécessité de repenser la représentation des personnes âgées dans la mode. Des campagnes comme celles de Dove, célébrant la diversité corporelle, montrent qu’un changement est possible. Pourtant, ces initiatives restent marginales dans une industrie encore dominée par l’idéal de la jeunesse.

Le bazar des tendances 2024.

Lors des défilés automne-hiver 2024/2025, seul Olivier Rousteing et sa marque Balmain (voir la vidéo ci-dessus) ont fait défiler des mannequins de plus de 60 ans, illustrant à la fois l’exception et le potentiel de cette démarche. Il est urgent pour les marques de mode de reconnaître l’importance de l’inclusivité. Non seulement pour des raisons éthiques, mais aussi pour répondre aux attentes d’une population vieillissante. Les adultes de plus de 60 ans représentent un segment de marché en pleine croissance, souvent sous-exploité.

Changer les normes de beauté passe par une collaboration entre les marques, les créateurs de contenu et les politiques publiques. Une meilleure représentation des personnes âgées dans les médias pourrait non seulement améliorer leur bien-être, mais aussi favoriser une perception sociale plus positive du vieillissement.

Ainsi, loin d’être un simple enjeu esthétique, l’inclusion des seniors dans la mode est une question de justice sociale. Comme le souligne l’une des participantes de notre étude :

« Les personnes âgées ne sont plus autorisées à vieillir. »

Une phrase qui, à elle seule, devrait nous interpeller sur les valeurs que nous souhaitons transmettre à travers la mode et ses médias.The Conversation

Aurore Bardey ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.