Le sionisme chrétien, une influence majeure sur la nouvelle administration Trump
Les évangéliques américains, massivement ralliés à Donald Trump, sont souvent des sionistes convaincus – et leur vision du sionisme les pousse à soutenir en toutes circonstances la droite israélienne la plus radicale.
Au nom d’une interprétation spécifique de la Bible, un courant très puissant aux États-Unis prône un soutien indéfectible au gouvernement israélien, spécialement en ce moment. Ce courant est très actif autour de Donald Trump et plusieurs de ses représentants occuperont des postes clés dans sa prochaine administration.
Depuis une dizaine d’années, une nouvelle idéologie s’est fabriquée autour du candidat républicain devenu président en 2016 et réélu en 2024 : le nationalisme chrétien. Cette synthèse de circonstance joue sur la corde d’une identité américaine chrétienne « de toujours » qui serait menacée par des ennemis intérieurs, mais que Donald Trump – l’élu du peuple – et de Dieu – va protéger et restaurer, de même qu’il va relever la grande Amérique, nation chérie de la Providence.
Le nationalisme chrétien qui définit l’ère Trump a une dimension sioniste assumée, malgré son isolationnisme officiel. Cette dimension est plus ancienne que le nationalisme chrétien. Depuis les années 1970-1980, le Parti républicain a progressivement incorporé, avec la pression exercée sur lui par la droite chrétienne, une grille de lecture religieuse de l’État contemporain d’Israël qui semble être devenue commune parmi ses membres et l’entourage de D. Trump.
Une veine méconnue
Cette grille de lecture provient d’un courant politico-religieux ancien et influent dans le monde évangélique qui reste cependant méconnu : le sionisme chrétien. Longtemps négligé dans l’historiographie du sionisme, surtout francophone, ce mouvement mérite une attention particulière, pour son impact potentiel sur l’appréhension du conflit israélo-palestinien par la droite américaine
Apparu au milieu du XIXᵉ siècle au Royaume-Uni puis en Amérique du Nord, le sionisme chrétien s’est répandu mondialement à partir des années 1970. Ses racines plongent dans certaines interprétations évangéliques de la Bible, prônant un soutien inconditionnel à l’État d’Israël, dont la création, puis la consolidation de son caractère juif et la conformation de ses frontières avec celles (supposées) de l’Israël biblique, sont perçues comme cruciales dans l’accomplissement des prophéties. Les partisans du sionisme chrétien croient fermement en l’idée du « retour » des Juifs, c’est-à-dire la réunification des Juifs dispersés et la « restauration » de leur souveraineté sur la terre qui leur avait été donnée par Dieu. Une vision qui conduit à l’invisibilisation du peuple palestinien.
Pour les sionistes chrétiens, le soutien à Israël est un devoir religieux et patriotique. Le biblicisme présent dans l’imaginaire national américain à travers la notion d’élection, ou l’idée que l’Amérique est la nouvelle terre promise, nourrit en miroir l’insécabilité de l’histoire des États-Unis et d’Israël. Aussi, pour de nombreux évangéliques américains, leur destin national et individuel est intimement lié à celui d’Israël et du peuple juif. Comme si l’imaginaire national de l’Alliance nouvelle, passée entre Dieu et le Peuple américain, à l’instar de la première Alliance divine avec le peuple juif, cédait le pas au profit d’un Covenant trinitaire, où la destinée des Américains et celle des Juifs d’Israël étaient devenues concomitantes dans le plan de Dieu.
Au début du XXe siècle, le sionisme chrétien a su se forger une place de choix sur la scène politique américaine, grâce à l’engagement fervent de millions de partisans et à leur capacité à mobiliser des ressources considérables. Dans les années 1930-1940, aux États-Unis, comme au Royaume-Uni et au Canada, des organisations juives sionistes ont aidé à structurer ce soutien en formant des comités pro-sionistes composés de non-Juifs tels que l’American Palestine Committee.
Dans les années 1970, face à la menace des armées arabes coalisées contre Israël, une alliance politique se forme entre les dirigeants israéliens, comme Menahem Begin et les sionistes évangéliques américains, alliance que reprendra Benyamin Nétanyahou à partir des années 2000.
Une militance récente
Les années 1990 voient la multiplication des organisations sionistes chrétiennes aux États-Unis en même temps qu’une nouvelle pression politique, issue du monde évangélique, qui représente 25-30 % de la population à cette époque comme aujourd’hui et qui pèse de plus en plus sur les Républicains.
Une organisation appelée à un grand avenir, Christians united for Israël, est fondée en 1992 par le pasteur David Lewis. Portée par un réseau d’églises locales, elle s’appuie sur un ensemble de groupes dont la plupart sont situés dans le sud des États-Unis. On peut citer (entre autres) la Restoration Foundation d’Atlanta, l’Arkansas Institute of Holy Land Studies, l’Hebraic Heritage Ministeries de Houston, le Christian Zionist Congress (fondé en 1996) ou Voices United for Israel (organisation judéo-évangélique) fondée en 1980.
Patiemment cultivée par ces nouveaux lobbies, comme le Christian’s Israel Public Action Campaign (CIPAC, fondé en 1991), la relation aux élus républicains progresse spectaculairement. Plusieurs mesures du Congrès sous domination républicaine résultent de leur lobbying, comme le Jerusalem Embassy Act (1995) qui prône le déplacement de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem.
D’autres organisations, comme les Christian Friends for Israeli Communities (CFOIC), cherchent à favoriser la politique de colonisation des territoires palestiniens pour des motifs « bibliques ».
Fondé par Ted Beckett en 1995, le groupe CFOIC soutient ouvertement les colonies juives en Judée-Samarie (Cisjordanie) et dans la bande de Gaza, en les liant à des congrégations évangéliques américaines, comme autant de jumelages. Des dizaines d’organisations ont suivi, comme Christ for the Nations, basée à Dallas. Lors de l’anniversaire des cinquante ans de la création de l’État d’Israël, ces groupes ont fait grand bruit, avec une manifestation commune du 29 avril au 3 mai 1998 à Orlando (Floride). Quelques jours plus tôt, Benyamin Nétanyahou prenait la parole lors d’une conférence à Washington, dans le cadre de Voices United for Israel. Il eut ces mots :
« Nous n’avons pas de meilleurs amis et alliés que les gens assis dans cette salle. »
La première moitié des années 2000, après le tournant des attentats de 2001, correspond à la généralisation, parmi les Républicains, d’une approche sioniste religieuse, sous l’effet conjugué de la guerre contre le terrorisme et de l’engagement des lobbies chrétiens pour Israël.
Ainsi, lors d’une visite à la Knesset en juillet 2003, Tom DeLay, alors représentant du Texas et leader de la majorité républicaine de la Chambre des représentants sous l’administration de George W. Bush, se déclare « Israélien de cœur ». Il avait déjà expliqué, en avril 2002, dans un discours improvisé à une conférence mouvementée de l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC) :
« J’ai visité la Judée et la Samarie, je me suis promené dans les rues de Jérusalem, je me suis rendu sur les hauteurs de Golan et je n’ai pas vu de territoires occupés. J’ai vu Israël. »
En 2005, Ariel Sharon procède au retrait israélien de Gaza. Une décision qui suscite une réaction très négative aux États-Unis chez les Républicains et, tout spécialement, chez les évangéliques sionistes. La plupart des sionistes chrétiens (soit plus d’une centaine de groupes distincts), comme les CFOIC déjà cités mais aussi Israel Always d’Earl Cox, Jerusalem Connection de James Hutchens ou encore American Values, le lobby washingtonien de Gary Bauer, font part de leur mécontentement. L’hémorragie cérébrale dont Ariel Sharon est victime en 2006 est considérée comme une punition divine par le fondamentaliste Pat Robertson parce que Sharon, en ordonnant l’évacuation des colonies juives de la bande de Gaza, avait « divisé la terre de Dieu ».
C’est dans ce contexte qu’il faut jauger la renaissance du groupe CUFI (Christians United for Israël), qui passe entre les mains du pasteur texan pentecôtiste John Hagee, alors approché par le Christian Allies Caucus fondé en 2004 à la Knesset d’Israël par des membres du parti ultra-nationaliste d’Avigdor Liberman, Israel Beitenou.
Quelle influence tangible sous Trump 1 ?
Dans les rangs des conservateurs évangéliques du Parti républicain, au moment du changement de présidence de 2008, l’expression sioniste-chrétienne dans les prises de parole est devenue assez fréquente. Par exemple, puisque la Bible ne mentionne pas l’existence d’un peuple palestinien, les Palestiniens n’existent pas, opinion maintes fois exprimée par des Républicains (évangéliques) ultraconservateurs, comme Mike Huckabee, ancien gouverneur de l’Arkansas (1996-2007) et candidat malheureux à la présidentielle de 2008 et à nouveau en 2016.
De même, sous Barack Obama, lors de la négociation d’un accord nucléaire avec l’Iran, un front commun hostile se met en place entre le camp républicain et les organisations sionistes – chrétiennes et non chrétiennes – avec, à la manœuvre médiatrice, l’ambassadeur d’Israël aux États-Unis (2013-2021), Ron Dermer, ami intime de Nétanyahou.
Après l’accord passé avec Téhéran, le fameux JCPoA, John Hagee – qui a accusé Obama d’être le président le plus antisémite de l’histoire – déclare aux milliers de sympathisants de CUFI réunis à Washington en juillet 2015 pour leur sommet annuel que l’accord est un désastre pour la sécurité d’Israël et aussi pour celle des États-Unis, avant de conclure :
« Nous devons soutenir Israël parce que nous sommes “liés par la hanche” et que nous avons, en tant que peuple, une base biblique judéo-chrétienne très solide pour soutenir Israël, qui commence dans le livre de la Genèse et ne s’est jamais arrêtée. »
Au moment de la campagne présidentielle de 2016, de la même manière que Donald Trump promet de redonner aux chrétiens « beaucoup de pouvoir », il promet aussi de « donner des signaux » aux soutiens indéfectibles d’Israël, dans son discours devant l’AIPAC. Et de fait, son premier acte international de président, outre sa visite en Arabie saoudite, est de dénoncer l’accord sur le nucléaire iranien – une mesure unanimement saluée par les Républicains et par les organisations sionistes.
Puis, en décembre 2017, Trump reconnaît Jérusalem comme capitale de l’État d’Israël et y déplace l’ambassade des États-Unis. Selon John Hagee, cette décision historique a été prise grâce à l’influence des CUFI alors que le secrétaire d’État, Rex Tillerson, et celui de la Défense, James Mattis, y auraient été opposés.
De même, c’est au nom de la sécurité d’Israël et de son droit légitime à la sécurité que Donald Trump signe en mars 2017, avec Benyamin Nétanyahou, une déclaration reconnaissant la souveraineté d’Israël sur le plateau du Golan (récupéré en 1967 et annexé en 1981).
Derrière l’argument stratégique pointent des motifs « religieux ». À l’allusion du premier ministre israélien qui voyait dans cette reconnaissance un vrai « miracle de Pourim » – référence à la fête célébrant le sauvetage du peuple juif, par l’intermédiaire d’Esther, face au terrible vizir perse Haman –, le secrétaire d’État Mike Pompeo répond en insistant sur l’appartenance historique du Golan au Royaume d’Israël et sur sa conviction que « Dieu était à l’œuvre » dans l’élévation du président Trump « pour aider à sauver le peuple juif de la menace de la Perse moderne, l’Iran ».
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Bis repetita ?
L’attitude des organisations sionistes chrétiennes depuis la riposte israélienne aux massacres du 7 octobre 2023 a été on ne peut plus explicite : Israël a le droit absolu de se défendre et les États-Unis doivent lui apporter un soutien sans faille. Le pasteur Hagee, quelque temps avant l’attaque du Hamas, n’hésitait à prédire l’imminence d’une guerre céleste, la bataille d’Armageddon au cœur d’Israël, que les Palestiniens, placés dans le camp des ennemis de Dieu, ne pouvaient que perdre, car, comme l’écrit sur X la CUFI, au soir des massacres perpétrés par le Hamas : « Aux terroristes qui ont choisi ce combat, écoutez ceci, ce que vous faites à Israël, Dieu vous le rendra. Malgré les pleurs d’aujourd’hui, la joie reviendra. Celui qui veille sur Israël, ni ne somnole ni ne dort ».
Mike Huckabee, qui devrait bientôt devenir le prochain ambassadeur des États-Unis en Israël, déclarait déjà en janvier 2017, depuis la colonie Maale Adoumim, à l’est de Jérusalem :
« Il n’y a rien qui s’appelle la Cisjordanie. C’est la Judée et la Samarie. Il y a certains mots que je refuse d’employer. Les colonies n’existent pas, ce sont des communautés, des quartiers, des villes. L’occupation n’existe pas. »
De même, en 2018, le présentateur de Fox News Pete Hegseth, dont Trump veut faire le futur Secrétaire à la défense, excluait toute solution à deux États, martelant qu’il « n’y (avait) qu’un seul État », Israël, dont la souveraineté devait s’exercer sans partage sur « la Judée et la Samarie ».
Marco Rubio, futur secrétaire d’État et actuel sénateur de Floride, de retour d’Israël en mai 2024, accusait Joe Biden d’encourager par sa « faiblesse » les_ « ennemis d’Israël qui sont aussi ceux des États-Unis » – et cela, « quoi qu’en dise la communauté internationale ». Il a mené campagne en septembre 2024 contre la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies exigeant le retrait israélien des territoires palestiniens occupés depuis 1967, préférant au contraire célébrer le « droit légitime de l’État juif d’Israël sur sa patrie historique ».
Demain, ces très loyaux soutiens de Donald Trump accepteraient-ils une éventuelle annexion par Israël de la Cisjordanie mais aussi de la bande de Gaza, vidée ou non de sa population ? Les nominations annoncées par le nouveau président laissent à penser que la nouvelle administration pourrait être la plus pro-israélienne de l’histoire américaine. D’ores et déjà, une question se pose : l’accord de cessez-le-feu récemment accepté entre Israël et le Hamas, qui a repris certaines mesures prônées par le président Biden et auparavant restées lettre morte, pourrait-il dissimuler d’autres promesses territoriales, faites par la nouvelle équipe ?
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