France Info et « les otages palestiniens » : emballement sémantique et indignation sélective
Dépolitisation structurelle ; deux poids, deux mesures permanent. - 2010-... La désinformation continue / France Info (radio et télé), Israël, Palestine
Dépolitisation structurelle ; deux poids, deux mesures permanent.
Le 25 janvier, alors qu'une journaliste annonce sur France Info un sujet à venir consacré aux suites de l'accord de « cessez-le-feu » entre le Hamas et l'État d'Israël, le titre suivant apparaît à l'écran : « 200 otages palestiniens retrouvent la liberté ». Instantanément, une capture d'écran est mise en circulation sur les réseaux sociaux et est l'objet d'indignations. Celle de la députée macroniste Caroline Yadan par exemple, interpellant dans un même message l'Arcom et la ministre de la Culture, Rachida Dati :
Ce bandeau de @franceinfo n'est pas seulement indécent, il est une injure à ce qui fait notre humanité. Abject et INACCEPTABLE. Je saisis l'@Arcom_fr et entend qu'une sanction exemplaire soit prononcée.
La directrice de la communication de France Télévisions, Muriel Attal, la rassure une heure plus tard sur X, dans un message assorti d'un « émoji » cœur : « On a immédiatement réagi Caroline. La direction de l'info et ftv ont été des lucky luke :) ». Ce post suivait effectivement de quelques minutes un communiqué d'excuses de la chaîne sur X :
À la suite d'une erreur inadmissible, un titre totalement inapproprié concernant la situation au Proche-Orient a été brièvement diffusé dans un de nos journaux sur franceinfo canal 27. Le responsable a été suspendu. Nous présentons toutes nos excuses aux téléspectateurs.
« Dont acte », se félicite Caroline Yadan, non sans en appeler à durcir la répression : « Le responsable devra être sévèrement sanctionné. » Le dernier acte (ou presque [1]) de ce fiasco survient avec l'intervention de la SDJ de France Info, qui publie le lendemain un communiqué engageant la rédaction (X, 26/01) :
Depuis le 7 octobre 2023, France Info et France Télévisions s'illustrent par un traitement structurellement biaisé du conflit colonial en Palestine, dont on ne voit pas bien en quoi il pourrait permettre à la rédaction de se targuer d'une quelconque « indépendance » ou « neutralité ». Face à l'accumulation d'« incidents », de manquements, de partis pris et d'angle morts confinant à la désinformation, jamais la Société des journalistes de France Info n'a fait paraître publiquement le moindre communiqué. Convier sur son plateau un représentant de la chaîne de propagande i24 News [2] ? Pas un problème. Participer aux interrogatoires médiatiques contre Rima Hassan en multipliant les interruptions, les invectives et les procès d'intention ? Pas un problème. Le traitement à charge et déséquilibré des mobilisations étudiantes en soutien au peuple palestinien ? Pas un problème. Un rédacteur en chef, Patrice Romedenne pour ne pas le nommer, qui multiplie injures, « partage de[s] messages de personnalités proches de l'extrême droite et relai[e] de[s] fake news » sur X ? Pas un problème. Tout récemment, une « interview passe-plat de Rafowicz, [des] invités qui qualifient [tous] les prisonniers [palestiniens] de terroristes (sans nuance, sans source et surtout sans contradiction), aucune contextualisation, aucun mot sur Gaza » comme le signale la journaliste Elodie Safaris sur X (25/01) ? Pas un problème. Etc. Sur France Info, l'humeur est plutôt à l'autocélébration et à la fermeture du débat autorisé.
Ce communiqué, publié sous la pression politique d'élus et d'« influenceurs » sur X, nous renseigne quant à l'autonomie des rédactions vis-à-vis du champ politique… Mais il est d'abord et avant tout un symptôme supplémentaire du « deux poids, deux mesures » et de la dépolitisation qui minent le traitement médiatique de ce conflit colonial. À plusieurs titres :
1. Cette position publique « extraordinaire » de la rédaction de France Info rend visible, par contraste, l'étendue de ce à quoi elle ne réagit jamais… et ce dont elle ne s'indigne pas. Poreuse aux critiques alignées sur le récit dominant, étanche aux contre-discours, la rédaction trie manifestement entre les « téléspectateurs » dont les indignations comptent, et ceux dont les critiques ne valent rien. Toutes ne sont donc pas logées à la même enseigne puisque nombre d'entre elles sont restées lettre morte, malgré moult signalements de téléspectateurs, a fortiori au cours des quinze derniers mois.
2. S'il n'est pas du ressort d'Acrimed d'édicter ce qui relèverait d'un « juste » choix lexical, nous constatons, en revanche, que France Info passe la discussion par pertes et profits et tranche une question politique qui anime pourtant tout un pan de la société : depuis les milieux militants (Tsedek, BDS, etc.) jusqu'au champ universitaire, en passant par des auteurs, autrices, intellectuels et des juristes spécialistes du droit international. Quid des arrestations administratives arbitraires de masse de Palestiniens et des conditions de détention en violation du droit international ? Ces questions de fond devraient interroger les journalistes sur la nature d'un régime qui occupe militairement un territoire, et au cœur duquel le système pénitentiaire remplit une fonction de contrôle social d'une population. On le voit : rien qui ne vaille la peine d'être « discuté » dans les médias, rien qui ne mérite qu'on interroge ce que recouvre le sens des mots… Et de fait, peu importe à France Info : parler d'« otages palestiniens » relèverait ainsi d'une « erreur inadmissible », d'un « titre inapproprié » et « inexact ». En décrétant « ce qui ne peut être discuté » (utiliser le terme « otages » pour parler des Palestiniens détenus par l'État d'Israël), France Info délimite le périmètre médiatiquement acceptable ; ce qui, du reste, n'est pas la moindre des fonctions des médias au service du maintien de l'ordre.
3. En laissant ici toute analyse critique de l'État d'Israël hors-champ, France Info contribue à invisibiliser et discréditer les acteurs qui les soutiennent. Depuis un an et demi, leur traitement médiatique oscille entre la marginalisation et la silenciation pure et simple : des organisations militantes et des universitaires critiques de la politique de colonisation d'Israël, des collectifs juifs décoloniaux, ou encore des juristes soucieux de faire valoir quelques principes fondamentaux du droit international dans le débat public. Lesquels seraient en capacité d'argumenter et de pallier la médiocrité de l'information internationale, pour peu que les grands médias leur ouvrent enfin la porte.
Dans la droite lignée du fiasco BFM-TV, dont la SDJ et la direction se sont récemment illustrées par des indignations quelque peu sélectives – douce est la litote –, la rédaction de France Info fait une nouvelle démonstration de l'inanité du journalisme à l'œuvre depuis quinze mois sur la situation au Proche-Orient. Les prises de position successives de la chaîne, d'une cadre dirigeante de l'audiovisuel public et de la SDJ de France Info visaient à redorer le blason d'une ligne et de pratiques éditoriales. Elles ont au contraire révélé leurs biais : dépolitisation structurelle ; deux poids, deux mesures permanent. On en retient que certaines productions journalistiques méritent des « clarifications » publiques, et d'autres jamais ; que des « débats » peuvent avoir lieu, mais que certains sont voués à être classés sans suite. Rien à dire : France Info nous livre une parfaite leçon de journalisme tel qu'il va.
Pauline Perrenot
[1] Le SNJ et le SNJ-CGT y sont aussi allés de leur communiqué. Pour un retour sur l'affaire, lire « "Otages palestiniens" sur france info : la coquille devenue geste politique », Arrêt sur images, 29/01.
[2] Lire « Quand le journalisme politique touche le fond », Médiacritiques, n°51, juil.-sept. 2024, p. 18.