En France, les mauvaises nouvelles économiques ne changent pas les vieilles habitudes des hommes politiques
On pouvait s’y attendre, et c’est maintenant chose confirmée par les dernières publications de la direction des études et statistiques du ministère du Travail ou DARES : l’emploi en France s’est fortement dégradé en 2024. Le nombre de personnes complètement sans emploi inscrites à France Travail (catégorie A) a augmenté de plus de 106 000 […]
On pouvait s’y attendre, et c’est maintenant chose confirmée par les dernières publications de la direction des études et statistiques du ministère du Travail ou DARES : l’emploi en France s’est fortement dégradé en 2024. Le nombre de personnes complètement sans emploi inscrites à France Travail (catégorie A) a augmenté de plus de 106 000 sur l’année, soit une hausse de 3,5 %, comme on le voit dans le tableau ci-dessous. Sur le dernier trimestre, la hausse atteint 3,9 %, du jamais vu depuis 10 ans hors période Covid.
Si l’on s’en tient à la catégorie A en France métropolitaine, cette hausse atteint 3,7 % sur un an et monte même à 4 % sur le dernier trimestre. Comme d’habitude, les jeunes sont plus particulièrement touchés. La hausse concernant les moins de 25 ans grimpe en effet à 8,5 % sur le trimestre et à 7 % sur l’année.
La DARES et l’INSEE s’y prennent différemment pour évaluer le chômage français, à tel point qu’il est difficile de recouper leurs données, mais du moins les évolutions vont-elles dans le même sens. La prochaine publication de l’INSEE (prévue le 11 février) devrait faire état d’une hausse du taux de chômage de 7,4 % de la population active au troisième trimestre 2024 à 7,6 % au quatrième.
Dans le même temps, les faillites d’entreprises continuent d’augmenter, dépassant pour la première fois depuis 1992 le seuil fatidique de 65 000 en cumul sur les douze derniers mois (voir le graphe ci-dessous, publié par la Banque de France).
Les perspectives ne sont guère plus encourageantes. Le gouvernement Bayrou lui-même vient de réviser à la baisse la prévision de croissance pour 2025, de 1,1 % dans le PLF Barnier à 0,9 % dans celui qu’on attend d’un jour à l’autre. Dans la mesure où l’on estime en général qu’il faut à la France au moins 1,5 % de croissance pour espérer voir le chômage refluer, c’est dire clairement combien les mois qui viennent s’annoncent sombres.
Ajoutez la croissance négative du quatrième trimestre 2024 (-0,1 %), la déconfiture des comptes publics, les difficultés rencontrées par l’hôpital et l‘Éducation nationale à la française, le déficit du système de retraite, la mauvaise humeur ambiante – et c’est de grave déprime nationale qu’il faut parler, de déclassement, de chute, de descente dans la pauvreté et la médiocrité.
Mais si vous pensez en toute logique que dans ces conditions alarmantes, tout est mis en œuvre pour “libérer les énergies”, comme disait un certain Macron à une certaine époque, ce qui signifie obligatoirement d’alléger l’État obèse de son excès de taxes, de dépenses et de réglementations, détrompez-vous car c’est exactement le contraire qui se déroule sous nos yeux et à nos dépens ! Les vieilles habitudes ont la vie dure !
Outre que le Premier ministre ne sait plus quelles “concessions” taxatoires accorder au Parti socialiste (PS) pour durer le plus longtemps possible à Matignon quoi qu’il en coûte, sans assurance aucune que ces petits calculs qui vont contre l’intérêt de la France et des Français seront in fine payants pour la grandeur de sa page Wikipédia, on apprend presque chaque jour que tout continue comme avant du côté de la dépense. Et là, force est de constater que tout l’échiquier politique s’y met de bon cœur.
C’est ainsi que le journal Le Monde nous apprenait récemment que “le nombre de fonctionnaires va finalement continuer d’augmenter”. Dans le PLF Barnier, il devait baisser de 2 000 postes, correspondant à la suppression de 4 000 postes d’enseignants (en cohérence avec la baisse des effectifs des élèves du primaire et du collège) et à la création de 2 000 postes d’accompagnants d’élèves en situation de handicap. François Bayrou ayant annulé la suppression des 4 000 postes d’enseignants pour s’attirer les bonnes grâces du PS, il reste la création des 2 000 postes d’accompagnants plus quelques brouettes, soit 2 264 postes supplémentaires au total.
Oh, bien sûr, au regard de nos 5,7 millions d’agents publics, la baisse envisagée comme la hausse effectivement prévue paraissent d’une grande insignifiance. Mais témoignent avec une acuité terrible de la dramatique légèreté de notre classe politique, pour ne pas dire de son autisme assumé face au réel.
Dans le même ordre d’idées, il s’est trouvé à l’Assemblée nationale une majorité gauche/Liot/RN pour voter une proposition de loi socialiste visant à étendre l’accès des repas à 1 euro réservés aux boursiers à tous les étudiants. Là encore, on parle d’une “modeste” somme de 90 millions d’euros par an au regard des presque 1 700 milliards qui constituent nos dépenses publiques annuelles. Une fois n’est pas coutume, le gouvernement était contre la mesure. Le Rassemblement national (RN) en revanche a voulu montrer qu’il était capable de dépasser les clivages dès lors qu’il s’agissait “d’améliorer la vie des étudiants”. Que de “solidarité” inutile, que de “virtue signalling” mal placé !
À ce propos, n’oublions pas les mésaventures de l’entreprise française Linagora et de son IA générative Lucie. Mise en ligne la semaine dernière, cette dernière a généré un tel lot de réponses fausses ou aberrantes que son accès au public a dû être fermé deux jours plus tard, le temps de procéder à quelques contrôles et corrections manifestement indispensables. Verdict cruel du journal britannique The Times :
“French AI ‘Lucie’ looks très chic, but keeps getting answers wrong.”
(Traduction : L’IA française Lucie est très chic d’allure, mais ne cesse de se tromper dans ses réponses).
Elle avait pourtant tout pour plaire, cette IA ! Française, souveraine, design, éthique, conforme aux normes « d’inclusion » européennes, destinée à être adaptée au monde de l’Éducation en 2025… C’est bien pourquoi elle avait reçu le soutien financier de l’État dans le cadre du plan France 2030 et la collaboration de plusieurs organismes publics tels que notamment EDF et le CNRS. Mais s’il suffisait de bons sentiments et de jolis emballages pour innover, cela se saurait.
Il est évident que les IA sont conçues pour s’améliorer au contact de leurs utilisateurs, mais ce qui ne va pas dans cette histoire, c’est que les dirigeants de Linagora y voient surtout du “french bashing” bas du front, pas tellement le résultat des insuffisances fondamentales de leur produit.
Ce dernier point est d’ailleurs un trait typique des élites politiques et conniventes françaises. Si tout va moins bien que prévu, c’est évidemment de la faute des autres. Le chômage, les faillites, les déficits, la faible croissance, la perte de vitesse éducative et technologique ? Plutôt chercher du côté d’une Assemblée nationale instable pour l’aspect domestique et du côté des guerres et des menaces de dérégulation trumpistes pour l’aspect international. Quant à notre modèle économique et social, seul îlot de douceur et de bienveillance dans ce monde de brutes, il doit être préservé quoi qu’il en coûte.
Tout se passe en France (et, à beaucoup d’égards, dans l’Union européenne) comme si l’on pouvait faire tout et n’importe quoi au nom de la supériorité des bonnes intentions. Terrible erreur qui nous enfonce. Ouvrons enfin les yeux.