L’IA et apprentissage : entre fantasmes et réalités
Entre les prophéties prédisant la fin des enseignants et les rêves d’un apprentissage personnalisé pour tous, le sujet ne manque pas de prédictions, assez extrêmes pour la plupart. Dans ce contexte, le livre blanc “Intégrer l’IA générative dans les stratégies pédagogiques“, publié par l’Université catholique de Louvain, se présente comme une voix de la... Voir l'article
Entre les prophéties prédisant la fin des enseignants et les rêves d’un apprentissage personnalisé pour tous, le sujet ne manque pas de prédictions, assez extrêmes pour la plupart.
Dans ce contexte, le livre blanc “Intégrer l’IA générative dans les stratégies pédagogiques“, publié par l’Université catholique de Louvain, se présente comme une voix de la raison, mesurée et riche en enseignements. Mais que nous apprend-il ?
Une synthèse : que raconte ce livre blanc ?
Après une courte introductive théorique sur l’IA et sur les LLM, le livre blanc s’attaque à une question cruciale : comment l’IA peut-elle (et va-t-elle ?) transformer la gestion des savoirs ? Il explore des cas concrets, propose des pistes d’intégration et met en avant des enjeux éthiques. Voici les idées principales à retenir :
– Des usages multiples et concrets de l’IA éducative
L’IA n’est pas (qu’)une lubie futuriste dans le domaine de l’apprentissage : elle prend déjà forme, sous forme de plateformes adaptatives ou d’assistants conversationnels qui répondent aux questions des étudiants par exemple. Le livre blanc passe en revue plusieurs utilisations de l’IA, avec des exemples précis, et des recommandations portant sur la manière de s’adapter à cette nouvelle donne, notamment dans le cadre de l’université. Vous y retrouverez quelques conseils très intéressants.
– Un potentiel pour davantage personnaliser l’apprentissage
L’un des grands arguments pour utiliser l’IA dans le cadre de l’enseignement est la possibilité de proposer un apprentissage sur-mesure, adapté aux besoins individuels. Du moins, en théorie…
– Des enjeux, notamment éthiques, à ne pas négliger
Le livre blanc aborde des biais algorithmiques, des hallucinations de l’IA, ses raccourcis, la collecte des données personnelles ou la fracture numérique (l’IA pouvant renforcer les inégalités, au lieu de les réduire).
IA et apprentissage : à quoi ça sert et pour qui ?
Si vous êtes enseignant, formateur, décideur en matière d’éducation ou encore étudiant, ce document vous sera utile. Voici quelques exemples d’usages concrets :
– Pour les enseignants et formateurs : une mine d’idées pour intégrer l’IA à vos pratiques (conception de cours, création de ressources pédagogiques ou d’activités, etc.), mais aussi des arguments solides pour discuter avec votre hiérarchie ou vos collègues sceptiques.
– Pour les décideurs éducatifs : des pistes stratégiques pour développer des outils à l’échelle institutionnelle, tout en évitant de faire exploser le budget.
– Pour les chercheurs en éducation : de nombreuses propositions sont faites pour tirer profit de l’IA dans le cadre de la recherche (interaction avec un corpus de documents, gestion et analyse des données, création de modèles, etc.). Ce livre blanc représente par ailleurs une excellente base de réflexion sur les implications scientifiques et éthiques de l’IA.
– Pour les étudiants : l’IA peut représenter un vrai tuteur personnel pour les étudiants, pour réviser, répondre à des questions, approfondir un sujet, brainstormer, apprendre une langue, simuler des mises en situation, organiser ses idées ou encore créer des illustrations.
IA et apprentissage : les limites
– L’IA n’est pas une baguette magique
Le livre blanc est clair : l’IA ne va pas remplacer les enseignants. Au mieux, elle les soutiendra : “L’enseignant·e ne devrait pas continuer à faire ce qu’une IA fait mieux, et l’IA ne devrait pas être utilisée pour faire ce qu’on ne comprend pas encore du rôle de l’enseignant·e”.
– La personnalisation, à peu de chose près
Si l’idée d’un apprentissage sur mesure est séduisante, elle repose sur pas mal de postulats. Il manque, d’après moi, de prudence quant à l’efficacité de ces outils d’apprentissage personnels. Qu’en est-il réellement ? Est-ce une vraie personnalisation ? Est-ce efficace ? Nous manquons de recul pour être réellement affirmatifs.
Par ailleurs, cela amène quelques interrogations : Comment seront collectées et gérées les données personnelles ? Pour quel coût pourrait-on personnaliser l’apprentissage ?
– L’éthique, le parent pauvre de l’innovation
Le livre blanc n’hésite pas à mettre les pieds dans le plat des enjeux éthiques. Biais algorithmiques, surveillance accrue, gestion approximative des données personnelles ou encore standardisation des pratiques pédagogiques. Utiliser l’IA dans le domaine de l’apprentissage ressemble peu ou prou à une boîte de Pandore : l’ouvrir mérite une vigilance accrue.
Les limites du document
Malgré ses qualités, ce livre blanc souffre de quelques faiblesses :
– Un ton parfois trop académique
Certes, c’est publié par une université, mais certains passages auraient mérité un peu plus de vulgarisation, notamment concernant la théorie dans les premières pages. Les lecteurs éloignés du sujet risquent de décrocher avant la fin.
– Un manque de cas concrets
Les exemples sont présents, mais leur mise en application concrète dans une salle de classe reste floue. On aimerait savoir comment un professeur peut, dès demain, utiliser ces outils, notamment dans un contexte complexe (i.e. avec une connexion Internet défaillante et un budget proche de zéro).
– Un optimisme parfois excessif
Si les limites technologiques et éthiques sont abordées, le document reste malgré tout empreint d’un certain technosolutionnisme.
Conclusion : un pas en avant, mais pas de miracle en vue
Ce livre blanc (très coloré et plutôt bien mis en page) a le mérite de poser les bonnes questions et d’ouvrir des pistes intéressantes pour l’intégration de l’IA dans l’éducation. Il faudra encore beaucoup d’expérimentations (et d’argent) pour que ces idées deviennent réalité, ou se généralisent tout du moins dans le domaine éducatif. En attendant, enseignants, formateurs, décideurs et étudiants peuvent y trouver un premier guide vraiment intéressant… à condition de garder leur esprit critique.
Le sujet mériterait d’aller encore plus loin, notamment sur comment faire évoluer sa manière d’enseigner et d’évaluer les étudiants face à l’omniprésence de l’IA, à la manière de ce qui a été fait lors de la création d’Encarta ou d’Internet (pour aller plus loin). Peut-être nous y pencherons-nous un jour sur Sydologie.
En attendant, il est certain que l’IA est peut-être prometteuse, mais elle ne fait pas (encore) des miracles. Et le plus grand risque ne serait-il pas que l’IA creuse les inégalités entre les personnes à l’aise avec les outils numériques et les autres ? Les individus avec des facilités d’apprentissage et les autres ? L’IA ne va-t-elle pas tout simplement reproduire les inégalités, voire les amplifier ?