Javier Milei : enthousiasme et hésitations médiatiques

« Javier Milei nous montre la voie à suivre. » - Loin de l'Amérique Latine / Argentine

Jan 14, 2025 - 15:17
Javier Milei : enthousiasme et hésitations médiatiques

Le premier anniversaire de l'accession de Javier Milei à la présidence de l'Argentine est l'occasion d'une médiatisation suffisamment rare à l'égard d'un chef d'État latino-américain, pour qu'elle mérite que l'on s'y attarde. Alors que l'Amérique latine est une région structurellement sous investie par les médias [1], ce traitement médiatique dénote un intérêt peu commun dont font preuve les rédactions à l'égard de ses « solutions de choc » néolibérales…

Concédons d'abord que tous les médias ne versent pas dans l'enthousiasme caricatural d'un Charles Consigny ou d'un Olivier Babeau. Le premier, en avril, vantait dans Le Figaro le « travail salutaire » de Milei, et décrétait : « Javier Milei nous montre la voie à suivre. » (28/04)

Le second, quant à lui, enchaîne depuis un an les tweets passionnés, et rassure, sur Europe 1 : « Pour l'instant, la direction est la bonne. » (26/11)

On ne s'étonnera pas non plus de voir Le Point se pâmer devant « l'économiste qui révolutionne l'Argentine » (10/12), Valeurs actuelles se réjouir qu'il ait promis « de supprimer 90% des impôts fédéraux et veut un traité de libre-échange avec les États-Unis » (11/12), ou L'Express s'émouvoir de « ces prouesses économiques que la gauche refuse de voir » (10/12). Sur LCI, c'est Pascal Perri qui tient chronique : « Milei redresse l'Argentine à la tronçonneuse » (11/12).

Au Figaro, enfin, la titraille ne fait pas dans la dentelle : « Beaucoup de chemin reste à accomplir pour sortir totalement le pays de la crise économique abyssale dans laquelle il était plongé. Mais la potion ultralibérale administrée depuis un an par le fantasque président produit déjà des effets. » Un article sobrement intitulé « Javier Milei, ce "Trump de la pampa" qui redresse l'Argentine » (7/12).

« S'inspirer » de Milei ?

Derrière cet engouement idéologique, l'un des angles récurrents dans la presse consiste à envisager la possibilité d'importer les « recettes » de cette « révolution libertarienne » dont parle France Inter ou La Croix (10/12). « De Milei à Trump, le libertarisme est-il la nouvelle doctrine ? » s'interroge ainsi France Culture

Un angle qui n'est d'ailleurs pas étranger à Valeurs actuelles (12/12) qui, en confiant les colonnes de son édito à Nicolas Lecaussin (directeur de l'Institut de recherches économiques et fiscales (Iref), think tank libéral), salue « l'exemple argentin » et conclut : « et si la France s'en inspirait ? »

À l'instar de 20 Minutes qui, en dépit d'« un premier bilan… mitigé », se demande si « le bûcheron Javier Milei peut devenir une inspiration pour les politiques en France ? ». Et de poursuivre :

Mais 53 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, contre 42 % avant la venue au pouvoir du serial killer de fonctionnaires. Si on excepte ce « petit détail » de quatre millions de pauvres supplémentaires, reste quelques bons chiffres macroéconomiques.

On appréciera – ou pas – le trait d'ironie sur le « petit détail » d'une explosion de la pauvreté. On notera surtout que 20 Minutes – comme de nombreux médias – privilégie un cadrage centré sur les indicateurs économiques, se permettant – en ayant recours pour cela à deux chercheurs, d'affirmer que « la politique française […] n'est pas très libérale ». Si on lit plus loin que « dans les années 1980, Margaret Thatcher et Ronald Reagan "avait fait naître quelques poussées libérales chez nos politiques" », celles-ci sont vues comme « éphémères ». Nous voilà rassurés.

Entre-deux

En dehors de certaines critiques plus tranchées, par exemple dans Libération (13/12), L'Humanité (9/12) ou Mediapart (10/12), les médias dominants sont dans un entre-deux, la plupart lui concédant un « bilan mitigé » (BFM-TV, 10/12). Même le très libéral L'Opinion (10/12) décrit « des succès incontestables contre l'inflation et l'endettement public, mais au prix d'une récession et d'un bond de la pauvreté qui jette une ombre sur la pérennité du "miracle" ».

Idem au Nouvel Obs (31/10), où l'on note que « les résultats sont frappants » même si « les réformes ont un coût ». Le Monde (entre le 5 et le 10 décembre 2024) fait état d'une certaine prudence dans le portrait qu'il dresse de l'Argentine actuelle. Arte commente les mesures de dérégulation tout en interrogeant : « Mais à quel prix ? ». Les Échos soulèvent « le désarroi des universités publiques » et France Inter (le 12/12) organise un débat intitulé « miracle ou désastre »…

Même Dominique Seux, deux jours auparavant sur la même antenne, se trouve bien obligé d'admettre que Javier Milei « a toujours tout pour nous déplaire »… avant de fléchir en milieu de chronique : « Rien pour le racheter. Rien ou presque. On ne va pas dire que ce qui va suivre contrebalance et rend admissible ce qu'on vient de dire. Mais en même temps, son actif économique est réel. » Et de répondre, presque enthousiaste, à la question de Nicolas Demorand : « La thérapie de choc, ça a déjà marché quelque part ? » : « Au Royaume-Uni, il y a longtemps, dans les années 1970 [2] : c'était Margaret Thatcher. […] En Grèce, depuis 10 ans, cela a aussi marché – même si la vie quotidienne reste difficile. »

Tout un programme.

Nils Solari


[1] Comme le notait Le Monde Diplomatique, en juin 2020, dans une infographie traitant de l'actualité internationale dans les quotidiens nationaux.

[2] Dominique Seux voulait probablement dire « dans les années 1980 » puisque Thatcher est arrivée au pouvoir en 1979.