Comment Trump utilise la musique à des fins politiques

Classiques du disco, chansons patriotiques et appui de célébrités ont joué un rôle clé dans l’élection américaine. Comment les politiciens utilisent-ils la musique pour susciter l’adhésion des électeurs ?

Jan 16, 2025 - 15:10
Comment Trump utilise la musique à des fins politiques

Classiques du disco, chansons patriotiques et appui de célébrités du monde de la musique ont joué un rôle dans l’élection américaine. Comment les politiciens utilisent-ils la musique pour susciter l’adhésion des électeurs ? Étude du cas Trump.


Donald Trump connaît la musique, et sa valeur. Le 5 novembre 2024, la chanson « God Bless the USA » de Lee Greenwood a empli le parc des expositions de Palm Beach lorsque l’ancien et futur président des États-Unis est monté sur scène pour annoncer sa victoire.

Donald Trump a ensuite conclu son discours en faisant retentir le classique disco « YMCA » devant une foule en délire.

Créée en 1978 par le groupe Village People, cette chanson est l’une des préférées de Trump et a été jouée lors de nombreux meetings. Elle instaure aisément une atmosphère festive avec ses rythmes de danse énergiques et les refrains accrocheurs de « YMCA ».

À l’origine hymne queer, la chanson en est venue à représenter la classe ouvrière américaine qui était le principal public cible de Trump lors de cette élection.

La musique a été un élément clé de la campagne de Trump. La musique a été importante pour de nombreux hommes politiques, y compris Barack Obama, mais peu d’entre eux ont été capables d’exploiter son énergie de manière aussi efficace.

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Bien sûr, la musique peut aussi avoir un effet négatif, comme lorsqu’elle a produit les mouvements de danse maladroits de l’ancienne première ministre britannique Theresa May.

Comment des politiciens tels que Trump utilisent-ils la musique comme outil politique ? Et comment la musique peut-elle renforcer un message politique ?

Moments musicaux des campagnes de Kamala Harris et de Donald Trump.

L’élection de 2024 : De YMCA à Brat

Donald Trump a une longue histoire de showman, notamment en tant que présentateur, de 2004 à 2015, de l'émission de télé-réalité The Apprentice. Ces comportements théâtraux, ses pas de danse, et bien sûr la musique, ont été des éléments clés de ses meetings politiques.

Au cours des neuf dernières années, Trump a développé une playlist variée, centrée sur les succès pop des années 1970 et 1980 – les années 1970 étant celles de sa jeunesse et les années 1980 celles où sa carrière d’homme d’affaires a décollé. Certains commentateurs ont écrit que Trump vivait encore à cette époque, au vu du décor décadent de son triplex en marbre et plaqué or à la Trump Tower qui a ouvert ses portes en 1983.

Parmi les artistes de cette époque dont les chansons ont été jouées lors des meetings de Trump, on trouve les icônes de la pop britannique David Bowie et Elton John, ainsi que des stars du rock telles que Bruce Springsteen et Guns N’ Roses. Néanmoins, nombre de ces artistes ne souhaitaient pas que Trump joue leur musique lors de ses meetings.

Ces chansons évoquent la nostalgie des années 1980, sous la présidence de Ronald Reagan, une époque perçue comme un âge d’or par de nombreux Américains conservateurs.

Trump dansant sur « YMCA » des Village People lors de ses meetings politiques.

Trump est également amateur de musique classique. En 2017, il a prononcé un discours classant les symphonies comme une réalisation majeure de la civilisation occidentale. Parmi ses artistes préférés figurent le pianiste canadien Glenn Gould et le chanteur d’opéra italien Luciano Pavarotti.

En 2016, la famille de Pavarotti a demandé à Trump de ne pas jouer « Nessun Dorma », l’air signature du ténor issu du Turandot de Giacomo Puccini, qui se termine triomphalement par le mot vincerò (« je gagnerai »).

La troisième catégorie de musique utilisée lors des meetings Make America Great Again (MAGA) est liée au message nationaliste de Trump. En particulier en 2024, Trump a beaucoup utilisé la chanson « God Bless the USA » de Greenwood, le chanteur se produisant même en direct lors des meetings.

La musique du côté démocrate

Les adversaires démocrates de Trump ont également eu recours à la musique. Durant sa campagne, Kamala Harris a beaucoup diffusé la chanson Freedom de Beyoncé, en particulier après que la chanteuse ait dit soutenir la vice-présidente. Kamala Harris a également reçu le soutien de l’artiste hyperpop Charli XCX, qui a tweeté « Kamala est brat » dans la couleur verte caractéristique de son album Brat.

Un troisième soutien important a été apporté par Taylor Swift, dont on s’attendait à ce qu’elle apporte un grand nombre de jeunes électrices à Kamala Harris. Malgré ces soutiens très médiatisés, Kamala Harris a perdu. Certains commentateurs suggèrent que ces soutiens ont pu nuire à sa campagne en associant négativement Harris aux élites riches.

Comment la musique peut soutenir un message politique ?

La musique peut susciter des émotions fortes et rassembler les gens, et elle est depuis longtemps utilisée comme forme de protestation. La musique peut être utilisée de trois manières pour soutenir un message politique.

Premièrement, le message politique peut être exprimé dans les paroles. Il peut être explicite, comme dans « God Bless the USA ». Il peut également être suggéré dans les paroles comme « vincerò » dans « Nessun Dorma » de Puccini.

L’utilisation des paroles pour exprimer un sens politique a été une stratégie notable reconnue et adoptée par un groupe de compositeurs communistes lors du deuxième congrès international des compositeurs et des critiques musicaux à Prague en 1948, organisée par le compositeur Hanns Eisler. Selon ce point de vue, la musique n’a pas de sens, elle est « autonome » à moins que des mots ne soient ajoutés.

Le ténor italien Luciano Pavarotti chantant « Nessun Dorma »)

Deuxièmement, le sens politique de la musique peut résulter d’une association ou d’une délimitation, c’est-à-dire que l’on associe la musique à un certain événement ou à certaines émotions.

De ce point de vue, la neuvième symphonie de Beethoven est remarquable. Elle a été associée à des sens très variés : le message originel d’unité, le nazisme et, plus récemment, l’hymne de l’Union européenne.

Lors des meetings de Trump, ce sens politique de la musique par association s’est manifesté avec la nostalgie liée aux tubes pop des années 1970 et 1980.

Enfin, un message politique peut être incorporé dans les notes de musique elles-mêmes. L’un des compositeurs qui s’est illustré dans ce domaine est le moderniste italien Bruno Maderna. Il a pris du matériel musical ayant une signification politique, comme les chansons de la résistance italienne, et l’a découpé avant de le placer dans un système complexe de carrés latins pour créer des œuvres musicales ayant une signification politique inhérente. Il s’agit d’une technique plutôt obscure et difficile à percevoir.

Un exemple plus clair est la musique du compositeur symphonique russe Dmitri Chostakovitch qui aurait intégré des significations cachées dans sa musique par un usage subtil de l’ironie et du sarcasme comme un acte de rébellion contre le régime de Staline. Cela reste également difficile à percevoir et les pensées du compositeur restent largement inconnues.

La politique de la 9e de Beethoven.

Une idée plus sombre est que la musique, comme d’autres formes de culture, peut être utilisée pour distraire. C’est ce que soutenait le philosophe et musicologue allemand Theodor Adorno. Il a écrit que la culture populaire était utilisée comme une arme de « tromperie de masse », encourageant les masses à ignorer les problématiques contemporaines urgentes.

Cela évoque l’élection de 2024, où Trump et Harris ont été critiqués pour ne pas avoir répondu aux préoccupations des électeurs et avoir choisi à la place de s’appuyer sur ce qu’ils dégageaient en tant que personnes et sur des attaques personnelles.

Le pouvoir de la musique

Outre le fait que la musique véhicule un message politique, le fait qu’elle soit accrocheuse est un avantage majeur. L’accroche implique généralement un court fragment musical distinctif qui est répété à l’infini et qui crée progressivement un sentiment de familiarité.

Cependant, toutes les musiques politiques ne sont pas aussi accrocheuses que la playlist de MAGA. Chaque année, lors de leur conférence annuelle, les démocrates libéraux britanniques chantent The Land, un hymne joyeux sur les taxes foncières.

La playlist de Trump a-t-elle pu contribuer à sa victoire ? La recette gagnante semble être un mélange de tubes populaires nostalgiques, d’œuvres classiques traditionnelles et de numéros patriotiques accrocheurs.

Les hommes politiques devraient accorder plus d’attention au pouvoir politique de la musique. En ses termes, Platon l’avait, semble-t-il, déjà compris :

« Quelle piètre apparence font les récits des poètes lorsqu’ils sont dépouillés des couleurs que la musique leur donne et qu’ils sont récités en simple prose. »

The Conversation

Aidan McGartland ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.