« Babygirl » avec Nicole Kidman : un film sur le sado-masochisme vu par une sexologue
BDSM, infidélité et relation amoureuse dans un contexte professionnel hiérarchique : une sexothérapeute analyse les trois thèmes clés du film « Babygirl » avec Nicole Kidman.
Babygirl, le nouveau film des audacieux studios de cinéma A24 (Everything Everywhere All At Once, Midsommar, Euphoria, etc.) explore les dynamiques d’érotisme sado-masochiste. Analyse d’une chercheuse et sexothérapeute.
Cet article contient des spoilers.
Imaginez une femme PDG accomplie, riche et puissante, à la vie parfaite. Elle a un mari dévoué, deux beaux enfants et un appartement luxueux avec vue sur la ville. Que pourrait-elle souhaiter de plus ?
Babygirl s’ouvre sur ce qui semble être une scène de sexe épanouie entre Romy (Nicole Kidman) et son mari Jacob (Antonio Banderas), avec son lot de gémissements et de respirations haletantes. La scène laisse penser que tout va bien sous la couette. Jusqu’à ce que Romy saute du lit, se précipite dans son bureau et se masturbe en regardant du porno. Sa vie sexuelle, apparemment satisfaisante, comporte des zones d’ombre.
En tant que sexothérapeute, je connais bien les trois thèmes qui sont au cœur de cette histoire : idylle dans un contexte professionnel hiérarchique (quand l’un des partenaires occupe une position plus élevée que l’autre au travail), aspects du BDSM (mieux compris quand on le lit en trois paires : bondage et discipline, domination et soumission, sadisme et masochisme), et infidélité.
Les relations amoureuses sont un aspect naturel des interactions humaines. Elles sont susceptibles de se produire dans divers contextes, y compris sur le lieu de travail. De nombreuses raisons peuvent expliquer pourquoi une personne peut s’engager dans une relation consensuelle sur son lieu de travail.
Étant donné que nous passons une grande partie de notre vie au travail, souvent en compagnie de personnes partageant les mêmes idées, il n’est pas surprenant que la proximité et la familiarité (communément appelé effet de simple exposition) puissent attirer les gens les uns vers les autres dans cet environnement. Selon une estimation, plus de 60 % des adultes ont déjà vécu une histoire d’amour sur leur lieu de travail.
Cependant, lorsque les relations sur le lieu de travail impliquent des positions hiérarchiques, elles présentent des défis éthiques supplémentaires, tels que des déséquilibres de pouvoir et des conflits d’intérêts. Ainsi, ce qui commence comme un badinage inoffensif entre Romy, PDG, et Samuel, stagiaire (Harris Dickinson), se transforme rapidement en une liaison de bureau plus intime et chargée de tension sexuelle.
Lorsque Samuel évoque la domination et la soumission (le DS du BDSM), la dynamique du pouvoir commence à changer.
Au début, Romy résiste, mais au fil du temps, cette résistance se transforme en quelque chose d’autre : elle ne cède pas, elle se libère.
La réalisatrice de Babygirl, Halina Reijn, a magnifiquement capturé le jeu de rôle consenti entre les deux protagonistes. Le film intègre intelligemment le concept de « safe words » (mots ou signaux convenus à l’avance qui indiquent clairement la nécessité de ralentir, d’ajuster ou d’arrêter la pratique sexuelle) et de consentement. Cela garantit que les pratiques sont sûres, choisies en étant lucides (en pleine capacité de prendre une décision) et réellement consenties par toutes les personnes impliquées.
Ce « safe, sane and consent » est un principe clé dans le monde BDSM car il permet d’établir la confiance et des limites claires, en veillant à ce que chacun se sente respecté et à l’aise.
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Éveil sexuel
Au fur et à mesure que le film progresse, l’intensité grandit entre les deux partenaires. Cela permet à Romy de s’éveiller progressivement à la sexualité. Le film remet en question les idées reçues sur la domination et la soumission, en montrant que le fait de « se faire dire quoi faire » n’est pas nécessairement synonyme d’humiliation, mais (pour certains) de liberté.
Cette dynamique ne plaît pas à tout le monde, mais il n’est pas rare que des personnes haut placées adoptent la soumission, parfois même jusqu’à renoncer au contrôle de leur vie quotidienne. Pour certains, cela peut être une source d’empowerment (renforcement de leur agentivité). Dans Babygirl, cela permet à Romy d’explorer pour la première fois ses fantasmes, et de le faire dans un environnement sûr et où elle se sent en confiance.
Des recherches suggèrent que la compatibilité sexuelle et le bonheur dans la relation sont des prédicteurs clés des aventures extraconjugales, en particulier chez les femmes. Lorsque Jacob découvre la liaison de Romy, son monde s’écroule. Il doit accepter le fait que sa femme a non seulement abusé de sa confiance (elle n’a pas respecté les termes de leur relation monogame, sans son consentement), mais qu’elle a également mis en péril leur relation, leur famille et peut-être même sa carrière.
Pour sauver son mariage, Romy explique à Jacob ce qui l’excite sexuellement. Elle se sent coupable et honteuse.
Cette suppression de son expression sexuelle – jugée « anormale » – reflète la façon dont les normes sociétales et culturelles façonnent notre compréhension de la sexualité et des relations.
Les scripts sexuels sont les normes sociales et culturelles qui déterminent notre façon d’agir, de penser et de ressentir dans les situations romantiques et sexuelles. Ils nous disent par exemple qui doit faire quoi, quand, où et pourquoi. Parfois, ces scripts peuvent nous influencer profondément et déclencher de la honte, en particulier lorsque nos désirs, nos goûts et nos aversions s’écartent de ce qui est considéré comme « normal », comme c’est le cas pour Romy.
Le type de honte dont parle Romy est quelque chose que je vois souvent dans mon cabinet en tant que sexothérapeute. C’est pourquoi j’utilise une approche ouverte, bienveillante et positive de la sexualité qui met notamment l’accent sur l’inclusion, le consentement, le plaisir et l’éducation sexuelle. De cette façon, mes patients peuvent explorer leur sexualité sans avoir honte, dans un espace sans jugement.
Babygirl explore de manière provocante les relations, mêlant des thématiques dérangeantes à une immersion dans les complexités du désir, des orientations et des expressions sexuelles humaines.
Chantal Gautier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.